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A Abidjan, le « dernier horloger public » refuse de prendre sa retraite

"Docteur en montres!", peut-on lire sur un étal. A Abidjan, la capitale économique ivoirienne, le métier d'horloger public, autrefois florissant,…

« Docteur en montres! », peut-on lire sur un étal. A Abidjan, la capitale économique ivoirienne, le métier d’horloger public, autrefois florissant, est menacé de disparition sous l’effet conjugué des nouvelles technologies et de l’absence de relève.

Assis sous un parasol, dans une rue de Treichville, un quartier populaire d’Abidjan, Séraphin Kouassi Kouadio, 68 ans dont un demi-siècle à réparer les montres, se déclare « dernier horloger public » d’Abidjan.

Penché en avant sur une table, il scrute à l’aide d’une loupe les montres en panne qu’apportent pour réparation une dizaine de clients par jour – il peut ainsi gagner de 30 à 50 euros par jour. Et refuse de partir en retraite, en l’absence d’une relève « assurée et rassurante ».

« Je suis issu de la première promotion de l’Ecole d’horlogerie suisse d’Abidjan créée en 1968 », raconte le presque septuagénaire, vantant les moments de gloire de la montre-bracelet au poignet qui ont favorisé l’essor du métier de réparateur de rue.

« Nous étions des centaines et des milliers installés à tous les coins de rues des quartiers d’Abidjan, la mégalopole de quatre millions d’habitants à l’époque, pour apporter assistance aux personnes dont les montres présentaient des défaillances: pile hors service, remontoir bloqué… », se souvient-il avec beaucoup de regrets.

« Aujourd’hui, de ma génération, il ne reste presque personne, le métier a presque disparu », déplore-t-il.

– Téléphones portables et montres asiatiques –

Ces ateliers de réparation à ciel ouvert se transformaient également en points de ralliement pour discuter football, jouer aux dames ou parler de politique, à une période où la libre expression était contrôlée par le régime de parti unique (1960-1990).

L’avènement du téléphone portable, devenu un compagnon quotidien qui donne l’heure, a accéléré l’agonie des réparateurs de montres.

« Comme un malheur n’arrive jamais seul, la présence sur le marché de montres +made in China ou Indonesia+, aux qualités douteuses, et à des prix très abordables, a largement contribué à la mise à mort du métier », explique le sociologue Roger Manet.

« Les Ivoiriens réparent de moins en moins leurs montres », témoigne-t-il.

« Aujourd’hui (…) quand une montre tombe en panne, on la met au rebut et on préfère s’acheter une nouvelle », renchérit Hermann Konan, comptable de profession, venu déposer sa montre pour une révision.

L’absence d’écoles spécialisées après la fermeture, il y a plusieurs années, de la célèbre Ecole d’horlogerie suisse d’Abidjan, n’a pas permis d’assurer la relève.

– Les « bricoleurs » –

Conséquences: les réparateurs expérimentés et vieillissants, se faisant rares sur le marché, ont été submergés par des amateurs ayant appris sur le tas et dont le travail approximatif est largement critiqué.

A Abidjan cette nouvelle génération de réparateurs est raillée sous le sobriquet de « bricoleurs », sans niveau d’études ni expérience.

« Il n’y a plus de réparateurs d’expérience pour des montres de valeur. J’ai perdu trois montres à cause des bricoleurs », s’insurge Maude Phares, 20 ans, étudiant, une grosse montre au poignet.

Toutefois, comme pour Maude Phares, cette situation n’a pas entamé l’amour des « Botro » (montre de valeur en langue nouchi, l’argot abidjanais) au sein de la jeunesse ivoirienne.

Mis en avant par le « Zighéhi », un mouvement musical qui a précédé le très en vogue coupé-décalé, porter un « Botro » est synonyme de « classe », « d’élégance » et de « tendance ».

« Si le Botro est défaillant on change le moteur. La plupart des Botros sont fabriqués de telle sorte qu’on ne peut les démonter » explique un jeune réparateur de 22 ans, l’un des amateurs critiqués pour leur manque d’expertise.

La seule alternative possible pour remédier à la situation et promouvoir le savoir-faire des derniers horlogers publics d’Abidjan serait d’assurer la relève en créant une école de formation.

Le « dernier horloger public d’Abidjan », « Docteur en montres », comme il est surnommé affectueusement, ne désespère pas.

« Tant qu’il aura des montres, le métier ne va pas disparaître » complètement, veut-il se rassurer, se disant prêt et « encore d’attaque » pour former des jeunes, pourvu qu’il bénéficie d’un appui des autorités publiques.

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