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A Alep, le sort incertain du légendaire hôtel Baron

La romancière Agatha Christie aimait y séjourner et c'était autrefois l'établissement le plus prestigieux d'Alep. Mais l'hôtel Baron n'est plus…

La romancière Agatha Christie aimait y séjourner et c’était autrefois l’établissement le plus prestigieux d’Alep. Mais l’hôtel Baron n’est plus que l’ombre de lui-même et son sort reste incertain malgré la fin des combats dans cette ville du nord de la Syrie.

Ses chambres, ses salles de bal et son bar, qui virent passer le chanteur Charles Aznavour, le milliardaire américain Rockefeller ou encore l’ancien président français Charles de Gaulle, n’ont plus accueilli de clients depuis sept ans et tombent en désuétude.

Dans un coin, un piano abandonné reste silencieux.

Victime « collatérale » des violents combats qui ont opposé les forces du régime de Bachar al-Assad à des groupes rebelles entre 2012 et 2016, l’hôtel n’est plus qu’une bâtisse fantôme de deux étages.

Seule une chambre sur 48 est encore ouverte. Roubina Mazloumian, l’une des copropriétaires du lieu y vit, impuissante face à la déchéance de ce joyau.

« Je ne sais pas ce que nous allons faire de cet endroit », lâche la veuve d’Armen Mazloumian. Ce Syrien d’origine arménienne mort en 2016 était l’héritier de quatre générations d’hôteliers.

L’établissement « ne peut plus recevoir d’invités ou d’amis, les seules personnes qui restent sont deux employés, ce chien et moi », ajoute, désabusée, cette femme de 65 ans en jetant un regard sur les murs fissurés autour d’elle.

– Relique du passé –

Fondé en 1911 par le grand-père d’Armen Mazloumian, l’hôtel Baron a vu défiler en un siècle des personnalités politiques et des artistes célèbres. C’est là que le roi Fayçal, premier roi de Syrie puis d’Irak, a annoncé en 1918 l’indépendance de ces pays longtemps sous domination ottomane, avant leur passage sous mandat français et britannique respectivement.

« Des événements de l’histoire ont été écrits ici », affirme, non sans fierté, Mme Mazloumian.

Dans l’entrée de l’hôtel, la sexagénaire se dirige, munie d’un trousseau de clés, vers un imposant escalier à colimaçon.

« Sur ces marches, le tapis rouge était déroulé pour accueillir des personnalités », raconte-t-elle, avant de gravir l’escalier et de s’arrêter devant une porte en bois fermée à clé.

C’est dans cette chambre que la célèbre romancière Agatha Christie a effectué des séjours dans les années 1930 et écrit des parties de deux de ses livres les plus lus: « Le Crime de l’Orient-Express » et « Meurtre en Mésopotamie », raconte Mme Mazloumian.

– Abri improvisé –

Si le Baron est incontestablement témoin et partie intégrante d’un pan glorieux de l’histoire d’Alep et de la Syrie, il témoigne aussi du drame d’une guerre dévastatrice qui déchire ce pays depuis 2011.

En juillet 2012, l’Armée syrienne libre (ASL), l’opposition armée formée après la répression de manifestations prodémocratie par le pouvoir, s’était emparée de près de la moitié d’Alep, restée divisée pendant des années entre secteurs loyalistes dans l’ouest et rebelles dans l’est.

En 2016, le régime soutenu par l’armée russe a repris les quartiers rebelles à l’issue d’une violente offensive et de l’évacuation forcée de milliers d’opposants armés et de civils.

Si depuis les canons se sont tus, de vastes quartiers d’Alep sont toujours en ruines.

L’hôtel Baron ne fait pas exception. Ses murs portent encore les traces de balles alors que les coupures de courant sont récurrentes.

En 2014, au pic des violences, il était même devenu un abri improvisé pour les déplacés fuyant les feux croisés des camps adverses.

– Vendre ? –

Il ne s’agissait pas d’une première: en 1915, ses chambres et couloirs avaient déjà accueilli des centaines de rescapés du génocide arménien.

Si les déplacés de la guerre actuelle ont fini par déserter les lieux, une reprise de l’activité hôtelière semble toutefois improbable, affirme Mme Mazloumian.

« Il ne reste plus que trois verres à vin et six tasses à café dans l’hôtel », déplore-t-elle, debout près du bar en bois ciré. « Beaucoup de choses ont été volées » durant la guerre.

« C’était un endroit où les rires se mélangeaient au bruit des verres s’entrechoquant pour trinquer, sur fond de mélodies classiques et internationales », se souvient la gérante solitaire.

Puis, le regard triste, elle se tait, marquée par le souvenir de cet âge d’or révolu et par sa fin tragique. Elle peine à répondre à une question sur l’avenir de l’hôtel, murmure que son sort « est inconnu », sans écarter une éventuelle vente. D’autres héritiers vivent en Suisse et aux Etats-Unis.

« Je suis une vieille femme (…) Je ne suis pas en mesure de continuer à gérer » l’hôtel, reconnaît-elle. « Il est normal qu’il passe entre de nouvelles mains. »

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