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A Alger, les manifestants font leurs armes dans des cours de droit sauvages

"La présidentielle, on n'en veut pas!" De tous âges et conditions sociales, des Algériens suivent depuis plus de deux heures…

« La présidentielle, on n’en veut pas! » De tous âges et conditions sociales, des Algériens suivent depuis plus de deux heures un cours de droit constitutionnel dans un salon transformé en salle de classe à Alger et pas un ne semble gagné par l’ennui.

Depuis le déclenchement le 22 février du mouvement de contestation antirégime, qui pousse chaque vendredi des millions de manifestants dans les rues, des débats et des cours sauvages sont organisés dans des lieux culturels, des parcs et des jardins de la capitale algérienne.

Etudiants, médecins ou ouvriers viennent « s’instruire » et armer intellectuellement leurs revendications « pour un Etat de droit ». Libérés d’Abdelaziz Bouteflika, contraint de céder le pouvoir après 20 ans à la tête de l’Etat, ils veulent poursuivre le mouvement pour continuer à changer profondément l’Algérie.

Imene, 26 ans, un drapeau aux couleurs nationales encore sous le bras, est venue directement après un énième rassemblement près de la Grande poste, bâtiment emblématique du coeur d’Alger devenu le coeur de la contestation dans la capitale.

« Ici, on nous ouvre les yeux et on comprend, par exemple, pourquoi cette élection présidentielle, c’est un piège », dit la jeune femme, après la convocation mercredi par le chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, d’un scrutin le 4 juillet devant désigner le successeur de M. Bouteflika.

Selon les protestataires, les institutions et personnalités héritées de la présidence Bouteflika, toujours en place, ne garantissent pas une élection libre et transparente. « Si on va vers une élection présidentielle en l’état, elle n’aboutira qu’à élire un autre dictateur », explique à son auditoire le professeur de droit public, Massensen Cherbi.

Texte à l’appui, il explique que le chef de l’Etat algérien est chef suprême des Armées et ministre de la Défense, jouit d’un droit de veto sur le Parlement, n’est responsable ni politiquement ni pénalement et que lui seul peut réviser la Constitution.

« Comment appelez-vous un tel président? » interroge alors cet universitaire qui enseigne en France, avant de répondre: « un despote! Il suffit de lire la Constitution pour le savoir ». « Aujourd’hui, la Constitution garantit au prochain président algérien les mêmes prérogatives que le général (Houari) Boumediène » qui dirigea, après un coup d’Etat en 1965, un régime autocratique jusqu’à sa mort 1978.

– « Ignorants » –

« De toute façon, les élections n’ont jamais servi à rien ici », estime Hamsa, 29 ans, en repoussant, d’un geste de la main, l’idée de se rendre aux urnes le 4 juillet.

Les deux chefs de l’Etat algériens élus au cours de présidentielles pluralistes, l’ont toujours été, largement, au premier tour: Liamine Zéroual, vainqueur avec 61% des voix en 1995, et M. Bouteflika, élu avec 73% des suffrages en 1999, puis réélu trois fois avec plus de 80% des voix.

« Dans les démocraties, il est rare que des président soient élus au premier tour avec de tels taux! », ironise M. Cherbi.

« La plupart des Algériens ignorent tout ou presque de ce qui est écrit dans la Constitution. C’est pour ça qu’en Algérie, le peuple a du mal à entrer dans le débat politique », explique-t-il. L’enseignement du droit et des sciences sociale a été totalement déprécié dans les écoles, une « volonté du pouvoir de laisser les gens ignorants et de jouir librement du pouvoir », estime-t-il.

Farida, archéologue de 60 ans, confirme: « le débat en Algérie a toujours été muselé. On a toujours tout fait pour qu’on ne s’intéresse pas à la politique ».

A la fin du cours, Fella, 52 ans en vient à une conclusion : « L’Algérie n’est pas prête pour une nouvelle élection présidentielle. La société civile n’est pas prête, elle n’a pas la connaissance, elle n’est pas du tout politisée ».

« Ca fait 57 ans, depuis l’indépendance, qu’on nous roule dans la farine et qu’on nous confisque le pouvoir. Ce mouvement populaire, c’est une opportunité magnifique, il faut s’en saisir! », dit-elle.

« Pendant la décennie noire (de guerre civile entre 1992 et 2002, ndlr), j’avais 20 ans. Après, j’ai connu 20 ans de Bouteflika. Maintenant, j’aimerais vivre », acquiesce Mohamed, 47 ans et père de trois enfants.

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