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A Avignon, l’hommage érotico-poétique de Serebrennikov à la liberté

Du nu, du rock, et des pseudo agents du FSB sur scène: au festival d'Avignon, Kirill Serebrennikov, interdit de quitter…

Du nu, du rock, et des pseudo agents du FSB sur scène: au festival d’Avignon, Kirill Serebrennikov, interdit de quitter Moscou, a présenté à distance sa pièce-hommage au photographe chinois censuré Ren Hang et, au-delà, à des artistes épris de liberté et rebelles malgré eux.

Le public a accueilli mardi la première mondiale de la pièce « Outside » avec une standing ovation, surtout quand les acteurs et actrices du Centre Gogol que dirige Serebrennikov à Moscou sont apparus aux saluts vêtus d’un T-shirt estampillé « Free Kirill » avec l’effigie du metteur en scène.

A défaut d’être présent –encore poursuivi dans une affaire de détournement de fonds controversée pour laquelle il est assigné à résidence pendant deux ans–, l’enfant terrible du théâtre russe a choisi de faire un clin d’oeil à sa situation.

Il montre ainsi une scène au début de la pièce avec des agents des services de sécurité russes (FSB) faisant irruption dans l’appartement du narrateur et le malmenant. « Le corps est ce qui te reste quand tu perds tout », clame-t-il.

Dans un entretien par mail avec l’AFP, le metteur en scène et réalisateur avait affirmé que le théâtre a rendu possible cette rencontre entre lui et le photographe chinois connu pour ses photos érotiques et surtout poétiques.

Une rencontre qui aurait dû avoir lieu en février 2017 si Ren Hang n’avait décidé de mettre fin à ses jours, à l’âge de 29 ans. « Chaque année j’ai le même espoir: mourir jeune. Et j’espère que cela se produira cette année », avait-il publié sur le réseau social chinois Weibo, avant son suicide.

Mais plutôt qu’une pièce autobiographique et d’une plongée dans la dépression qui a tourmenté le photographe pendant dix ans, « Outside » s’étale comme une série de tableaux se voulant comme un « remake » de ses photos les plus emblématiques.

– Entrelacements chorégraphiques –

Les interprètes, intégralement nus la plupart du temps, posent devant l’acteur incarnant Ren Hang: des postures certes explicites mais surtout inattendues, avec des plantes ou des fleurs dans la bouche ou sur leurs parties génitales, un entrelacement de corps presque chorégraphique, des mises en scène à la fois provocatrices et taquines de corps faussement décapités.

Au son de chansons tantôt rock tantôt plus lyriques, ces tableaux sont traversés par le journal intime et poétique de Ren Hang, qui laisse entrevoir sa soif de liberté (« A chaque fois que je fais une bêtise, je sens que la vie est meilleure »), mais aussi sa solitude et ses angoisses (« Quand je te prends dans mes bras, j’ai peur que tu disparaisses »).

La censure des autorités chinoises est également évoquée: la pièce mentionne les détentions et l’annulation d’expositions jugées pornogaphiques, alors que le photographe autodidacte qui avait séduit les galeries occidentales représentait, entre autres, une nouvelle génération chinoise avec son regard franc sur la sexualité face au conservatisme dominant.

Et pourtant, Ren Hang n’a jamais voulu être politique à travers son art. Il « disait qu’il ne cherchait pas à influencer ou s’ingérer dans la politique chinoise mais que c’est la Chine qui s’ingérait dans son travail », a expliqué Serebrennikov.

« Je fais ce que je fais, je ne repousse pas exprès les limites », disait encore le photographe.

En plus de Ren Hang, le metteur en scène a convoqué sur scène les esprits d’autres artistes qu’il admire et qui ont été des rebelles magré eux: le photographe américain Robert Mapplethorpe, décédé en 1989 et connu pour ses portraits de nus masculins, mais aussi Rudolf Noureev, qui avait fait une retentissante défection à l’Ouest en pleine Guerre froide.

Serebrennikov avait d’ailleurs mis en scène en 2017 pour le Bolchoï un ballet sur le légendaire danseur mais le spectacle avait été pris dans une controverse sur des danseurs nus et l’évocation de l’homosexualité de Noureev, retardant la première de six mois.

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