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A Gaza, manifester chaque vendredi pour « changer d’air », mais sans espoir

Chaque vendredi, lorsqu'il va manifester à la barrière qui sépare la bande de Gaza d'Israël, Mohammed Hellis emporte trois choses…

Chaque vendredi, lorsqu’il va manifester à la barrière qui sépare la bande de Gaza d’Israël, Mohammed Hellis emporte trois choses : un keffieh, foulard traditionnel palestinien, un lance-pierre et une carte d’identité pour être identifié s’il est tué.

Le jeune homme de 21 ans ne croit plus que les manifestations, soutenues par le Hamas, mouvement islamiste qui contrôle l’enclave palestinienne, infléchiront la politique d’Israël ou amélioreront sa vie à Gaza, étouffée par un blocus israélien depuis plus de 12 ans.

Pourtant, comme lui, quelques milliers de personnes continuent de protester chaque vendredi le long de la barrière qui fait office de frontière avec Israël et qui est lourdement gardée par l’armée israélienne.

« Quand arrive jeudi, je n’arrive plus à dormir », raconte le jeune Gazaoui. « +Qu’est-ce que je vais faire demain?+ Je pense à me préparer, où je vais aller, avec qui ».

Tout a commencé le 30 mars 2018: des manifestations pacifiques organisées par des groupes de la société civile sont lancées à Gaza pour protester contre le blocus et demander le retour des réfugiés palestiniens sur les terres dont ils ont été chassés, ou qu’ils ont fuies, à la création d’Israël en 1948.

Mais le mouvement a rapidement été repris en main par le Hamas, à qui Israël a livré trois guerres depuis 2008, et des violences entre manifestants et soldats israéliens postés de l’autre côté de la frontière ont éclaté.

Au moins 311 Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens depuis le début du mouvement, la majorité le long de la frontière, et des milliers d’autres ont été blessés. Huit Israéliens ont été tués depuis mars 2018.

Le long de la barrière, les rassemblements perdurent mais l’enthousiasme s’est éteint : des dizaines de milliers de manifestants, il n’en reste plus que quelques milliers et les caméras étrangères qui avaient couvert le mouvement les premiers mois sont parties.

– « Etouffés » –

A l’est de Gaza city, à Chajaya, Mohammed partage sa chambre avec ses quatre frères. A eux cinq, ils ont été blessés par balles réelles à 15 reprises depuis le début des manifestations, disent-ils.

Aucun n’a un emploi à plein temps : dans l’enclave, deux tiers des jeunes sont au chômage.

Ziad, le frère aîné, a perdu une grande partie de son audition après avoir été touché à l’oreille par une grenade lacrymogène, dit-il. Il a aussi été blessé à la jambe, plâtrée depuis. Pourtant, quasiment chaque semaine, il retourne manifester.

Les gens ici sont « étouffés par la vie », explique Mohammed, qui s’est taillé une petite réputation pour s’être parfois approché très près de la barrière. « Certains sont dans une très grande pauvreté. Ils demandent juste une vie normale. »

Israël justifie le strict blocus imposé à Gaza par la nécessité d’isoler le Hamas et l’empêcher de se procurer des armes.

Mais des organisations de défense des droits humains dénoncent une punition collective pour les deux millions de Gazaouis.

Depuis presque un an, le Hamas a consolidé une trêve précaire avec Israël en échange d’inflexions du blocus. Les rassemblements du vendredi sont devenus plus calmes et les manifestations nocturnes ont cessé.

Les premiers rassemblements avaient hissé une nouvelle fois « la résistance populaire (palestinienne) sur la scène mondiale, pour démontrer que le blocus était injuste », rappelle Tareq Baconi, analyste au centre de réflexion International Crisis Group (ICG).

Mais désormais, le Hamas, critiqué par certains à Gaza pour faire durer le mouvement sans objectif apparent, tire les ficelles des rassemblements et peut en faire varier l’intensité.

« C’est devenu un outil pour faire pression sur Israël afin qu’il accepte les cessez-le-feu », décrypte M. Baconi.

– « Rêves évanouis » –

Alaa Hamdan, 28 ans, a été tué le 4 octobre lors d’une manifestation.

Quand son corps a été ramené chez lui, l’une de ses proches, le visage encadré d’un voile bleu, a hurlé, dans un message qui semblait adressé au Hamas : « Honte à vous! (Les marches) du retour, le retour, le retour ! Vous nous tuez avec votre +retour+! Qu’est-ce qu’on a gagné du +retour+? Dites-le nous ! »

Selon elle, Alaa tentait d’économiser pour payer une fécondation in vitro pour sa femme.

« Il cherchait du travail mais n’en a pas trouvé. Il allait aux marches du retour juste pour manger », dit-elle, en référence aux repas distribués par des organisations pro-Hamas le long de la barrière.

« Mon père m’a dit de ne pas y aller », raconte Ziad. « Mais nous sommes cinq frères dans une chambre, les uns sur les autres. On a besoin de changer d’air ».

Et peu importe si l’issue peut être fatale, ajoute Mohammed, puisqu’il n’y a rien d’autre à faire à Gaza. « Mes rêves ont cessé, mes rêves se sont évanouis. »

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