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Albanie: la justice en quête de son honneur perdu

Ce qui impressionne à la Cour suprême d'Albanie, c'est le silence: elle ne fonctionne plus depuis mai, la plupart de…

Ce qui impressionne à la Cour suprême d’Albanie, c’est le silence: elle ne fonctionne plus depuis mai, la plupart de ses juges ayant échoué dans la procédure mise en place pour contrôler la probité des magistrats.

« En 2014, ils étaient dix-sept (juges), en 2019 il n’en reste que deux… », résume Ida Vodica, porte-parole de cette institution qui tranche en troisième ressort, après l’appel, affaires civiles, administratives et pénales. L’un des deux rescapés, le président, est actuellement en cours de processus.

A la Cour constitutionnelle, plus haute instance judiciaire du pays, il ne reste qu’un magistrat sur neuf, épargné par la commission indépendante ad hoc, composée de magistrats albanais et d’experts internationaux…

Sous pression de l’Union européenne (UE) que l’Albanie aspire à rejoindre, Tirana a engagé en 2016 une profonde réforme de son système judiciaire, malade de sa corruption.

Patrimoine et revenus des juges et des procureurs, leurs liens supposés avec le crime organisé, leur passé sous le communisme, sont passés au crible pour assainir un système où les avocats expliquent parfois que leur métier s’apparente à celui de « brokers » qui négocient le montant des pots-de-vin.

Le 18 juin, Gurali Brahimllari, juge à la cour d’appel des crimes graves de Tirana, ne cache pas sa nervosité quand les trois membres de la commission indépendante s’étonnent d’un patrimoine sans rapport avec ses ressources financières officielles.

Il se dit « surpris » par leur analyse, exprime son « désaccord », présente des papiers pour invoquer les ressources de son épouse, explique que son frère émigré en Grèce lui a prêté de l’argent. Sans convaincre. Il est démis de ses fonctions.

– Paris sportifs et cadeaux de mariage –

Même issue en novembre pour un procureur qui avait avancé l’explication de paris sportifs heureux pour justifier des milliers d’euros d’entrées d’argent. Un juge de la Cour constitutionnelle avait lui expliqué en vain avoir gagné 15.000 euros de cadeaux à l’occasion du mariage de sa fille.

Sur 800 magistrats, quelque 140 sont déjà passés sous les fourches caudines de cette commission ad hoc, selon le dernier rapport de la Commission européenne paru en mai. Et 88 d’entre eux ont été démis de leurs fonctions ou ont démissionné avant d’avoir à se soumettre aux vérifications.

Autrefois un des hommes les plus puissants du pays, l’ex procureur-général Adriatik Lalla est visé par une enquête pour blanchiment, ses biens ont été saisis.

Ces résultats « ont été cruciaux pour rétablir la confiance du public dans le système judiciaire », s’est félicité en mai la Commission européenne, louant le « bon progrès général » et relevant l’arrestation en février de douze responsables, anciens ou en activité, pour des soupçons de corruption sur l’obtention de marchés.

– Immobilisme –

Mais Ruze Iso, 62 ans, n’en voit pour l’heure que l’effet pervers: l’immobilisme. Elle réclame depuis 2018 à la Cour suprême la cassation de la saisie de sa maison, pour une dette, assurant que cette décision a été prise sur la foi de documents falsifiés par des huissiers corrompus.

« Mon mari est malade, on est tous à la rue », lance-t-elle, expliquant vivre dans un garage désaffecté.

« A ce jour, il y a un stock de 32.000 dossiers en attente d’examen, et nous n’avons même pas de place où les déposer », reconnaît Ida Vodica.

Salles d’archives, bureaux vides et salles d’audience plongées dans l’obscurité, s’emplissent de dossiers qui prennent la poussière sur les tables, sur les chaises. Au mur une horloge s’est arrêtée, on ne sait depuis quand. Sur le calendrier affiché des audiences, la dernière devait se tenir le 22 mai. Mais elle n’a pas eu lieu, le juge qui devait la présider, ayant été remercié ce jour-là…

« Vers la fin de l’été ou début septembre, quatre ou cinq nouveaux juges arriveront probablement pour prendre en mains les dossiers », assure le président de la Cour Xhezair Zaganjori. Les autorités affirment que la Cour constitutionnelle devrait être de nouveau opérationnelle début 2020.

Pour le directeur de l’école de la magistrature, Sokol Sadushi, le système devait en passer par là: « La corruption, l’irresponsabilité, le manque de professionnalisme, les influences politiques, ont imposé des mesures radicales et urgentes pour nettoyer la justice et restaurer la confiance » des citoyens.

Pour les garder de la tentation, les émoluments des hauts magistrats ont été revalorisés: compris entre 1.300 et 1.700 euros, ils sont désormais de 2.200 à 2.800, soit cinq à sept fois le salaire moyen.

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