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Algérie: la Kabylie frondeuse veut « zéro vote » à la présidentielle contestée

A Tizi Ouzou, en Kabylie, région frondeuse à l'est d'Alger, la campagne contre la présidentielle de jeudi, massivement rejetée dans…

A Tizi Ouzou, en Kabylie, région frondeuse à l’est d’Alger, la campagne contre la présidentielle de jeudi, massivement rejetée dans toute l’Algérie, bat son plein. En ville, les affiches électorales ont laissé place à… des briques, devenues le symbole de l’opposition au scrutin.

Des appels à une grève générale –largement suivie– ornent en outre les murs de la ville, signe de la mobilisation contre la présidentielle dans cette région berbérophone, historiquement opposée au pouvoir et où la participation aux élections est traditionnellement faible.

« La grève est un coup de force contre l’élection. Nous voulons zéro vote ici », explique Amar Benchikoune, 38 ans, assis devant son magasin fermé.

Au premier jour de cette grève, dimanche, toutes les activités étaient bloquées à Tizi Ouzou, à l’exception des pharmacies.

« Ici, il n’y a aucune chance qu’un seul électeur glisse un bulletin dans l’urne. D’ailleurs, il n’y a pas d’urnes ni de bureaux de vote », s’amuse Boudjemaâ Lakhdari, un commerçant de 36 ans, au milieu de centaines de manifestants rassemblés devant le siège de la daïra (sous-préfecture).

– Candidats aux abonnés absents –

Depuis le début de la campagne électorale le 17 novembre, des manifestants ont muré la quasi-totalité des 21 sous-préfectures du département de Tizi Ouzou, qu’ils soupçonnent d’abriter le matériel électoral (urnes, bulletins).

« Ils veulent organiser le vote en catimini mais nous ne les laisserons pas faire », glisse Mokrane, 29 ans.

Durant les trois semaines de campagne, qui s’est terminée dimanche, aucun des cinq candidats en lice ne s’est hasardé à Tizi Ouzou ou Béjaia, l’autre grande ville de Kabylie.

Dimanche, à quelques centaines de mètres de la sous-préfecture, où d’importants renforts de police équipés de casques et de boucliers étaient déployés, des dizaines de jeunes munis de briques et sacs de ciment se sont avancés, en file indienne, vers l’entrée du bâtiment.

Sous l’effet d’une foule de plus en plus compacte, les policiers, qui avaient réussi à la contenir pendant trois heures, se sont finalement retirés sous des clameurs de joie.

« Algérie libre et démocratique », ont scandé les manifestants après avoir élevé un mur de briques entre les montants de la porte d’entrée. Au-dessus, un groupe avait peint l’inscription « Ulac L’vot Ulac » (Pas de vote).

Ils arboraient drapeaux algériens mais aussi amazigh (berbère). Cet emblème a été interdit par l’armée dans les manifestations du « Hirak », le mouvement massif de contestation du régime qui agite toute l’Algérie depuis le 22 février, et s’oppose à la tenue de la présidentielle.

– La brique comme bulletin –

Avec la campagne antivote, la brique est devenue l’objet fétiche des habitants de la région. Sur Facebook, nombreux sont ceux qui mettent en guise de photo de profil une brique avec l’inscription « bulletin de vote ».

« C’est notre façon d’exprimer notre rejet total du scrutin », explique Ouerdia, 55 ans, retraitée de l’Education.

« Nous sommes ici pour réaffirmer (ce) rejet (…), mais d’une manière pacifique », lance Massinissa Houfel devant une foule en délire. « Nous ne voulons plus revivre les tragédies du passé ».

Une allusion aux émeutes sanglantes du « Printemps noir » de 2001, quand la Kabylie, qui s’apprêtait à célébrer le 21e anniversaire du soulèvement pour la reconnaissance de l’identité berbère, se révoltait une nouvelle fois après la mort d’un lycéen dans une gendarmerie.

Ces émeutes avait fait 126 morts et des milliers de blessés.

Un quart de la population algérienne, soit quelque 10 millions de personnes, est berbérophone, concentrée majoritairement en Kabylie (nord), et les revendications liées à l’identité amazighe ont été longtemps niées voire réprimées par l’Etat, construit autour de l’arabité.

Le jeune juriste de 29 ans se dit « choqué » de la présence dans la course à la présidence de candidats comme Ali Benflis –Premier ministre lors de la répression en 2001– et de l’autre ancien chef du gouvernement Abdelmadjid Tebboune, qui ont travaille sous l’autorité directe du président déchu Abdelaziz Bouteflika, contraint à la démission en avril.

« Il n’y aura pas de vote. Le pouvoir doit d’abord libérer les prisonniers d’opinion », jure M. Houfel, en référence à la centaine de manifestants, militants et journalistes arrêtés, placées en détention provisoire ou condamnées, selon les organisations de défense des droits humains.

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