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Après la révolution, les Soudanaises espèrent plus de droits, moins de violence

Neuf ans ont passé mais Halima Abdalla ressent encore la douleur et l'humiliation dues aux coups de fouet administrés sur…

Neuf ans ont passé mais Halima Abdalla ressent encore la douleur et l’humiliation dues aux coups de fouet administrés sur ordre du tribunal. Avec la chute du régime Béchir, elle espère toutefois que loi et mentalités évolueront bientôt pour protéger les Soudanaises.

Mme Abdalla a été condamnée en 2010 à plus de 100 coups de fouet pour « consommation d’alcool ». « La flagellation vous détruit de l’intérieur », dit la quadragénaire diplômée en théorie du genre, alors que ce lundi marque la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Durant les 30 ans de règne d’Omar el-Béchir, le Soudan a appliqué une version très rigoriste de la charia, la loi islamique, dont les femmes ont été parmi les grandes victimes.

Sous le régime déchu, des milliers de Soudanaises ont été condamnées à de lourdes amendes et flagellées, pour « tenue indécente » ou consommation d’alcool, selon des membres de la société civile.

Un soir de 2010, Mme Abdalla, qui préfère témoigner sous un nom d’emprunt, a été arrêtée par les forces de sécurité soudanaises à la sortie du domicile d’une amie.

Au début, elle pensait qu’elle serait condamnée à 40 coups de fouet. Mais sa confiance en elle, ses cheveux courts et ses habits à l’occidentale ont irrité le juge, dit la jeune femme.

« Le juge avait un problème personnel avec moi, avec mon apparence. Il a même dit +Nous (islamistes) sommes au pouvoir depuis plus de 20 ans et il y a toujours des femmes qui ressemblent à ça?+ »

Ou encore: « +Ici, maintenant, je suis le représentant de Dieu+ ».

Ce sera donc plus de 100 coups. « Dans mon cas, le juge était déterminé à assister à la flagellation », ajoute-t-elle, la voix étranglée par les sanglots.

« Depuis cet incident, je suis devenue moi-même violente, je m’énerve et je casse des choses. Tous ces changements en moi sont apparus car j’ai été victime de violence », assure-t-elle.

– « Violence systémique » –

Selon Souleima Sharif, directrice d’un comité gouvernemental de lutte contre les violences faites aux femmes, le cas de Mme Abdalla est loin d’être isolé.

« Nous avons des lois qui encouragent la violence contre les femmes », une « violence systémique (…) destinée à réduire leur participation dans la vie politique et sociale », poursuit cette femme de 44 ans qui a participé au mouvement de contestation, déclenché en décembre 2018 par le triplement du prix du pain.

Les manifestations se sont rapidement transformées en une révolte contre le pouvoir autoritaire de M. Béchir, déchu en avril.

Des dizaines de milliers de femmes en colère sont montées en première ligne. L’une d’elle est même devenue l’icône du mouvement.

L’avènement d’un nouveau pouvoir, après un bras-de-fer avec l’armée, a soulevé l’espoir chez de nombreux militants des droits humains que ces autorités se débarrasseront des lois encourageant la violence de genre.

Abdallah Hamdok, le nouveau Premier ministre, a donné de premiers signes encourageants en nommant quatre femmes ministres et en promettant de défendre les droits des femmes.

– « Deuxième procès » –

Mais il n’y a pas encore eu de concrétisation. En outre, des lois seules ne suffiraient pas, relève Halima Abdalla, pour qui l’ensemble de la société soudanaise doit changer son regard sur les femmes.

En 2010, « ce qui m’a blessé, c’est que ma famille et mes amis ne m’ont pas comprise », dit-elle, à nouveau au bord des larmes.

Elle estime avoir subi un « deuxième procès » devant sa famille, encore « plus dur et cruel ».

Partie vivre à l’étranger, elle n’est revenue à Khartoum que peu de temps avant le déclenchement du soulèvement populaire.

Depuis, elle a ouvert un centre pour les droits des femmes et milite pour que le Soudan rallie les conventions internationales sur le sujet.

En attendant de nouvelles lois, la police continue de harceler les marchandes de thé dans les rues de la capitale, déplore Awadeya Mahmoud, leur iconique porte-voix.

Ces femmes vulnérables, souvent déplacées de régions minées par les conflits comme le Darfour (ouest), et forcées de travailler dans les rues pour survivre, sont victimes d’abus, y compris physiques.

« Pourquoi est-ce que cela se poursuit? Ne dit-on pas que le régime est devenu civil? », s’interroge cette quinquagénaire qui a reçu le « Woman of Courage Award » en 2016, prix décerné par Washington à des femmes ayant fait preuve d’un engagement remarquable.

« Ces problèmes sont profondément enracinés (…) C’est à nous de les déraciner. Cette révolution nous appartient, à nous les femmes », clame-t-elle.

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