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Au Caire, un quartier historique sacrifié sur l’autel de la nouvelle capitale

Avec ses façades élégantes et ses avenues verdoyantes, le quartier huppé d'Héliopolis au Caire a longtemps été un havre de…

Avec ses façades élégantes et ses avenues verdoyantes, le quartier huppé d’Héliopolis au Caire a longtemps été un havre de paix dans une mégalopole surpeuplée. Mais, depuis quelques mois, il subit des transformations radicales sous les yeux effarés de ses habitants.

Depuis l’été dernier, les autorités s’affairent à raccorder Le Caire à la nouvelle capitale administrative, objet d’un vaste chantier orchestré par l’armée en plein désert, à 45 km à l’est du coeur de la capitale égyptienne.

Ce méga projet de plusieurs dizaines de milliards de dollars, destiné à accueillir dès fin 2020 les institutions nationales et étrangères, est présenté comme un symbole du pouvoir autoritaire d’Abdel Fattah al-Sissi, président depuis 2014 et qui l’a mis en oeuvre.

Face à la nouvelle métropole, vouée notamment à soulager la pression démographique, Héliopolis abrite encore pour quelques temps la présidence et plusieurs institutions militaires.

Mais cette cité créée en 1906 par le baron Empain, un riche industriel belge, sur le modèle de la cité-jardin européenne, est déjà reléguée au second plan.

Dans le pays le plus peuplé du monde arabe (100 millions), dont la capitale absorbe un cinquième des habitants, Héliopolis est passé du statut de banlieue chic à celui de simple axe entre Le Caire et la future métropole, qui ne porte pas encore de nom.

– « Acte de sabotage » –

Ces derniers mois, au grand dam de ses habitants, les autorités ont procédé, sans préavis, à l’abattage massif des arbres de ce joyaux architectural, savant mélange de styles orientaux et européens.

Pas moins de six nouveaux ponts routiers reliant le quartier à la route de Suez, qui mène à la future capitale, doivent faciliter la circulation automobile.

« Héliopolis a été créée pour les piétons, les voitures y ont toujours été secondaires », s’indigne Aliaa Kassim, journaliste et bénévole de l’association Heliopolis Heritage Initiative (HHI) pour la défense du patrimoine de la ville, en évoquant les récents bouleversements.

En quatre mois, l’équivalent de 390.000 m2 de surface arborée, soit plus de 50 terrains de football, ont été rayés de la carte, selon les calculs réalisés par HHI.

La place Triomphe, les avenues al-Nozha et Abou Bakr al-Seddik, connues pour leurs palmiers et leurs ficus anciens, ont fait place à des axes dotés d’une douzaine de voies, qui dénaturent radicalement l’identité du quartier.

Pour Dalila al-Kerdani, professeure d’urbanisme à l’université du Caire, ces travaux s’apparentent à « un acte de sabotage » dans ce quartier, jusque-là rare poumon vert de la capitale égyptienne.

Ces transformations urbaines, dont le coût s’élève à près de 44 millions d’euros (7,5 milliards de livres égyptiennes) ont aussi achevé d’enterrer le projet de rénovation du tramway d’Héliopolis, qui avait pourtant reçu des financements internationaux en 2018.

Dans la cour du café Chantilly, une institution du quartier, Choucri Asmar, membre fondateur de HHI, regrette qu’un « moyen de transport durable ait été sacrifié pour plus de voitures ».

Bien que certains reconnaissent une plus grande fluidité du trafic, les Héliopolitains dénoncent un projet mené à la hâte.

– « Fait accompli » –

« Nous avons été mis devant le fait accompli », déplore M. Asmar. Et pour cause: plusieurs étapes réglementaires, à commencer par la consultation des habitants, ont été brûlées.

Le projet a également été lancé sans l’autorisation de l’organisation nationale pour l’harmonie urbaine (NOUH), chargée de la mise en valeur du patrimoine urbain, souligne Mme Kerdani.

Excepté quelques députés, les autorités semblent assez peu préoccupées par les griefs des résidents, qui dénoncent notamment une multiplication des accidents meurtriers sur les routes élargies.

Lors d’une réunion publique mi-janvier, Oussama Okail, l’ingénieur qui a supervisé les travaux, a déclaré, sous les huées des Héliopolitains, qu’installer « des passages piétons revient aux résidents » et non à l’Etat.

Sollicité par l’AFP, le gouvernorat du Caire, dont dépend Héliopolis, n’a pas fait de commentaires.

Interpellée par HHI, l’Autorité du génie civil, puissant organe dépendant des forces armées qui pilote le projet, a elle botté en touche, au prétexte « que la décision venait de la présidence » selon M. Asmar.

Devant cette modernisation imposée, Mme Kerdani craint que Le Caire ne s’étende à terme « jusqu’à Suez », à 130 km d’Héliopolis, créant « un ensemble monstrueux et ingérable », aux dépens des espaces verts et du patrimoine.

Tandis qu’Héliopolis s’est transformée à contrecoeur, M. Asmar redoute elle que les quartiers populaires voisins d’al-Matariya et Nasr City, où des travaux ont commencé, ne subissent le même sort, dans une indifférence plus grande encore.

Les Héliopolitains, qui représentent plutôt une population aisée et influente, sont « sûrement les plus à même de critiquer ouvertement » ces changements, dit M. Asmar. « Si nous nous taisons, tout le monde se taira ».

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