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Au camp d’Al-Hol, des femmes jihadistes taiseuses et sous tension

Parquées dans des tentes sommaires sur une plaine aride du nord-est syrien, les étrangères du groupe Etat islamique (EI) restent…

Parquées dans des tentes sommaires sur une plaine aride du nord-est syrien, les étrangères du groupe Etat islamique (EI) restent évasives sur leur passé chez les jihadistes, échaudées par les tensions entre elles et la crainte d’être séparées de leurs enfants.

En ce lundi après-midi ensoleillé dans le camp de déplacés d’Al-Hol, Kenza, une Marocaine de 38 ans, est l’une des rares étrangères à accepter de parler avec l’AFP.

Autour d’elle, une nuée d’enfants arabes, asiatiques, africains ou européens tuent le temps en faisant le tour des tentes ou en allant chercher des bidons d’eau pour leurs mères.

Elle est sortie il y a deux semaines du village de Baghouz, où l’EI est acculé dans une poche encerclée par les combattants kurdes et arabes des Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par l’aviation d’une coalition antijihadiste conduite par les Etats-Unis.

Ces dernières semaines, les familles jihadistes, tenaillées par la faim, fuient en masse ce secteur. Les équipes de l’AFP peuvent leur parler, sans être en mesure de vérifier de manière indépendante le récit qu’elles font de leur parcours.

De ses quatre années passées sous la férule de l’EI, Kenza, dissimulée derrière son niqab comme la quasi-totalité des femmes du camp, raconte que son mari l’a emmenée en Syrie et qu’il y « avait amené assez d’argent » pour pouvoir vivre sans avoir à travailler pour l’EI, avant d’être tué dans un bombardement.

Pourquoi, avec ses trois enfants âgés de un à dix ans, a-t-elle ensuite suivi l’EI dans sa déroute militaire jusqu’à Baghouz? « Les jihadistes nous empêchaient de fuir », dit-elle.

Dans le camp d’Al-Hol, les étrangères sont gardées dans une enclave réservée aux familles de jihadistes.

Kenza survit dans une grande tente bâchée aux couleurs du Haut commissariat pour les réfugiés de l’ONU (HCR), qu’elle partage avec une dizaine d’autres familles. Elle veut « revenir dans (son) pays », espère « qu’il l’acceptera », et « ne voit pas pourquoi elle irait en prison ».

Dans les allées du camp, un petit garçon noir d’environ sept ans, qui se dit américain, demande aux visiteurs, en anglais et d’une voix douce et lasse: « Mon père est mort. Dites, vous savez combien de temps on va encore rester ici? »

Personne ne lui répond: au camp, certains étrangers sont là depuis plus de deux ans, et la plupart de leurs pays d’origine ne se pressent pas pour les réclamer.

– « Hors de question » –

A quelques mètres de là, deux jeunes Françaises en niqab arrêtées ces dernières semaines à la sortie de Baghouz se demandent si la France les rapatriera un jour avec leurs enfants.

La France s’est dite à l’automne prête à rapatrier des enfants, mais sans leurs parents à ce stade.

« Nous séparer de nos enfants, c’est hors de question. C’est tout ce qu’il nous reste », affirme l’une des deux, à l’unisson de beaucoup de femmes du camp.

La cohabitation n’y est pas toujours facile entre plusieurs dizaines de nationalités. Hors Irakiens et Syriens, les familles les plus nombreuses viennent de Russie et des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, suivies des Turques et des Tunisiennes, selon la direction du camp.

Au détour d’une tente, une jeune Britannique préfère ne pas parler, par peur de possibles représailles de « sœurs » plus radicales et opposées au contact avec l’Occident, notamment les Russes et Caucasiennes, réputées strictes et radicales.

« Ici la situation est mauvaise, il y a des disputes entre sœurs », confirme à l’AFP une détenue de Trinité-et-Tobago.

D’autant que des tensions existent également avec l’autre partie du camp, séparée, où se trouvent des familles irakiennes et syriennes déplacées par la guerre contre l’EI et qui en veulent aux jihadistes.

Au marché central du camp, « il y a eu des agressions contre les étrangères », qui y vont désormais sous escorte de gardes kurdes, a indiqué à l’AFP Nabil Hassan, le gérant du camp.

Celui-ci abrite aujourd’hui plus de 50.000 personnes, dont 30.000 arrivées ces deux derniers mois, un énorme défi humanitaire à relever pour les autorités locales, soutenues par l’ONU et des ONG.

Depuis décembre, 78 personnes, aux deux tiers des bébés de moins d’un an, sont mortes lors des trajets depuis les zones de combats ou peu après leur arrivée au camp, a déploré l’ONG Comité international de secours (IRC), en faisant également état d' »un besoin urgent d’eau, de nourriture et de soins médicaux ».

Et le flot des rescapés de Baghouz ne se tarit pas : 6.000 hommes, femmes et enfants sont arrivés ces deux derniers jours à Al-Hol, selon les autorités locales. Parmi ceux-là, plusieurs femmes ont, à leur sortie, affiché sans ambages leur fidélité au « califat », et regretté sa chute annoncée.

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