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Avec les Springboks, les rugbywomen de Soweto se sentent pousser des ailes

"Les voir comme ça les yeux dans les yeux, j'en pleure", lâche Khanyisile Makumbana, jeune Sud-Africaine noire, après la joyeuse…

« Les voir comme ça les yeux dans les yeux, j’en pleure », lâche Khanyisile Makumbana, jeune Sud-Africaine noire, après la joyeuse cohue qui a accompagné la parade des champions du monde de rugby dans le township de Soweto.

L’adolescente de 16 ans ne pouvait pas rater ce moment historique, elle qui symbolise le chemin parcouru par l’Afrique du Sud depuis la chute du régime raciste en 1994.

Elle joue au rugby à Soweto, grande banlieue noire de Johannesburg. Inconcevable il y a encore quelques années.

Car le rugby et les Springboks, le XV national réservé pendant des décennies à la seule minorité blanche, ont longtemps « symbolisé l’arrogance du pouvoir afrikaner », les descendants de colons blancs, explique Bongani Dlamini, un enseignant à la retraite de Soweto.

« Il y a trente ans, il aurait fallu être fou pour porter le maillot vert ici, ça aurait été risquer sa vie », ajoute-t-il.

Jeudi pourtant, c’est une marée vert et or, les couleurs des « Boks », qui y a accueilli les champions du monde.

Les temps ont changé. Lors de la Coupe du monde au Japon cette année, les Springboks étaient emmenés pour la première fois par un capitaine noir, Siya Kolisi, propulsé depuis héros de la nation « arc-en-ciel » rêvée par Nelson Mandela, le premier président sud-africain noir (1994-1999).

Jeudi, quelques Blancs ont fait le déplacement à Soweto.

Peter Schultz a tenu à venir avec ses deux jeunes enfants pour qu’ils soient témoins du « début d’une nouvelle ère ». « C’est formidable que l’équipe représente davantage le pays », se réjouit l’avocat de 45 ans.

– Changer les mentalités –

Avoir Siya Kolisi en capitaine « prouve que le rugby n’est pas que pour les Blancs », ajoute Khanyisile Makumbana.

La jeune joueuse se sent aujourd’hui pousser des ailes, comme ses camarades de la Soweto Rugby School Academy (SRSA), l’une des trois écoles de rugby du township, où le foot reste roi. « Je veux être Kolisi et intégrer la première équipe féminine des Springboks », affirme-t-elle pleine d’entrain.

L’espoir est permis. Car Siya Kolisi « a emprunté la même route que ces gamins », rappelle Chris Litau, le fondateur de la SRSA, créée en 2016 et qui accueille 250 jeunes, dont une cinquantaine de filles.

« Il n’avait pas de chaussures à crampons, ils n’ont pas de chaussures à crampons. Il n’avait pas de nourriture, ils n’ont pas de nourriture », ajoute le joueur semi-professionnel.

La leçon de cette victoire, c’est que « si on se met dans le bon état d’esprit, on peut gagner », assure Khanyisile.

L’adolescente s’entraîne trois fois par jour sur un terrain poussiéreux, parsemé de tessons de verre et de bouteilles en plastique. Malgré ça, elle a été sélectionnée cette année pour un prestigieux tournoi entre lycéens, pour la plupart blancs.

Quand Chris Litau a ouvert l’académie – qui offre aussi des cours de soutien en anglais, mathématiques et physiques – ce n’était pourtant pas gagné. Il a fallu changer les mentalités, « convaincre ceux qui disaient que c’était un sport de Blancs ».

Tshegofatso Mmapitsa, venue saluer les Boks jeudi, a dû elle commencer l’entraînement en cachette. Pour sa famille, le rugby était beaucoup trop violent.

– ‘Peur de rien’ –

Le ballon ovale a finalement donné à ces jeunes filles de Soweto la confiance qui leur manquait dans une société gangrénée par les violences faites aux femmes.

Sur le terrain, « le rugby nous permet de donner des coups de pied, de crier sans être arrêtées ! », se réjouit Khanyisile, longtemps gênée en classe pour sa démarche trop masculine.

C’est aujourd’hui de l’histoire ancienne. Plus personne n’ose la harceler.

Keletso Seboko, 18 ans, acquiesce. « On n’a peur de rien. On se sent puissantes. Je sens que je peux marcher seule la nuit » sans avoir peur d’être agressée, affirme-t-elle d’une voix résolue.

Le slogan de l’académie, portée à bout de bras par des bénévoles, résume l’état d’esprit de ces jeunes joueurs: « les combattants en or ».

Combattants, car le quotidien reste compliqué. Khanyisile n’a pas d’eau courante à la maison. Sa mère, cuisinière, n’a pas les moyens de payer un ticket de bus pour aller voir sa fille jouer.

Sur le terrain pourtant, les dizaines de jeunes de la SRSA en uniforme scolaire rapiécé et chaussures de ville fatiguées se démènent sous une chaleur accablante. De quoi donner espoir à Chris Litau. « Mon rêve, confie-t-il, est que l’un d’eux porte un jour le maillot des Springboks. »

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