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Birao, une poudrière aux confins de la Centrafrique

Un épais silence plane sur les allées poussiéreuses de Birao. Seules de rares silhouettes y déambulent encore entre les cases…

Un épais silence plane sur les allées poussiéreuses de Birao. Seules de rares silhouettes y déambulent encore entre les cases vides et les haies de roseaux.

La ville, échouée dans l’extrême nord-est de la Centrafrique, a été durement touchée depuis le 1er septembre par des combats entre deux groupes armés, pourtant signataires en février de l’accord de paix de Khartoum qui avait ramené un calme précaire dans un pays ravagé par la guerre civile.

La plupart des 14.000 habitants sont désormais réfugiés à côté de la base des Nations unies. Entassés sous des tentes de fortune, à quelques mètres des maisons abandonnées où personne n’imagine revenir de sitôt: la veille encore, une énième rumeur d’attaque du groupe armé FPRC (Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique) a amené une nouvelle vague de déplacés dans le camp, où l’eau se fait rare en ce début de saison sèche.

Seul le marché central a retrouvé un semblant d’activité. Les patrouilles de Casques bleus y côtoient les pickup de miliciens enturbannés sous le regard indifférent des anciens qui prennent le thé à l’ombre des acacias. Presque un retour à la normale, dans ce foyer de rébellion qui échappe depuis des décennies au contrôle de l’Etat centrafricain.

Depuis 2014, le FPRC, l’un des principaux mouvements rebelles du pays, contrôlait la région et la lucrative taxation des marchandises en provenance du Soudan voisin. Son chef militaire, Abdoulaye Hissène ainsi que plusieurs de ses officiers, sont membres de l’ethnie rounga, minoritaire à Birao mais bien implantée dans l’économie locale.

De quoi attiser des tensions anciennes avec l’ethnie kara, environ 40% de la population de Birao, qui compose la grande majorité des membres du MLCJ (le Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice).

– Maîtres réfugiés –

Le 29 août, l’assassinat du fils du sultan-maire kara de Birao par un milicien du FPRC a servi d’étincelle: après une premier affrontement le 1er septembre, le puissant FPRC a été mis en déroute et chassé de la ville deux semaines plus tard par des éléments du MLCJ et des civils kara armés. Dans la foulée, les riches demeures du quartier rounga ont été pillées et incendiées.

Les anciens maîtres de Birao sont désormais réfugiés avec les membres de leur communauté près de l’aérodrome, sous la protection des Casques bleus, et séparés des Kara par 15 km de piste.

« Les bandits qui nous ont chassés ont barré la route et empêchent les vivres de venir ici. C’est une manière de faire plus que sauvage », s’émeut Gabriel Redjal, le chef du camp de l’aérodrome, dans un français châtié. « Pour les Rounga, ce n’est plus le moment de vivre dans Birao. Il faut que l’on nous déplace loin d’ici », demande-t-il.

Le temps presse: pour les observateurs internationaux, la crise de Birao menace de dégénérer en une guerre ouverte qui pourrait s’étendre aux régions voisines. Le FPRC promet de reprendre la ville dès la fin des pluies qui rendent les routes impraticables.

Fort de sa victoire à Birao, le MLCJ a continué de grignoter le territoire de son ancien allié dans la région, et lorgne sur une nouvelle localité, Tissi.

– Ethnique ou politique –

“D’ici une semaine, quelque chose va se passer là-bas » confie avec un sourire énigmatique Adramane Ramadan, « chef de race » des Kara. Ce leader communautaire au regard d’acier, nouvel homme fort de Birao, reçoit dans sa propriété gardée par des hommes lourdement armés.

« Ils ne sont pas miliciens du MLCJ », assure-t-il, réfutant tout lien avec le groupe armé: « Ce n’est pas une guerre entre MLCJ et FPRC, c’est une guerre ethnique ».

Les mots ravivent de mauvais souvenirs dans un pays marqué par des années de violences intercommunautaires. Or, du côté rounga, les chefs font une toute autre lecture du conflit: « Il y a toujours eu une certaine jalousie, mais les Kara et les Rounga vivaient bien ensemble » assure Gabriel Redjal. « Il y a de la manipulation politique derrière cela. Et cette manipulation est profonde. »

Le responsable vise Adramane Ramadan, qui reconnaît volontiers briguer le poste de maire de Birao, où les élections locales ont toujours été déterminées par le vote ethnique. Mais également le chef du MLCJ, Gilbert Toumou Deya. Bien installé à 800 km de là dans la capitale, Bangui, il siège au gouvernement comme ministre chargé des relations avec les groupes armés.

Alors que leur chef Abdoulaye Hissène a été accusé par un rapport de l’ONG The Sentry d’avoir manipulé les clivages ethniques à Bangui pendant les violences de 2013, les Rounga de Birao s’estiment à leur tour victimes d’un complot politique orchestré depuis la capitale, à l’aune de l’élection présidentielle de 2020 où les votes de l’arrière-pays seront déterminants.

« Le FRPC respectait l’accord de paix. Et ceux qui ne respectent pas l’accord, qui nous ont attaqués, ils sont là, avec leurs armes dans la ville! Où est la justice? », s’emporte le capitaine Moussa, un commandant du FPRC réfugié à l’aérodrome qui a dû troquer son uniforme contre un survêtement de sport. Pour lui, « il n’y a pas de vérité en Centrafrique. On ne sortira jamais de l’affaire de Birao. »

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