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« Ca va au rythme du pays »: en RDC, les Congolais prennent leur mal en patience

"Ca va au rythme du pays": jamais la petite phrase fétiche des Congolais, mélange d'autodérision et de résignation, n'aura pris…

« Ca va au rythme du pays »: jamais la petite phrase fétiche des Congolais, mélange d’autodérision et de résignation, n’aura pris autant de sens qu’en ces jours d’interminable attente du résultat de l’élection présidentielle en République démocratique du Congo.

Kinshasa terre de contraste. En apparence, la vie est normale dans la troisième métropole d’Afrique aux dix millions d’habitants. Une capitale largement acquise aux deux opposants Martin Fayulu et Félix Tshisekedi, malgré l’omniprésence des affiches du candidat du pouvoir Emmanuel Ramazani Shadary pendant la campagne.

Les boutiques ouvrent, les écoles aussi, la circulation tourne aux embouteillages aux heures de pointe, sous le contrôle débonnaire des policiers du « roulage » qui font ce qu’ils peuvent pour fluidifier le trafic aux carrefours névralgiques.

A part eux, aucun déploiement particulier des forces de sécurité en attendant que la Commission électorale livre son verdict, Dieu seul sait quand.

Mais le « tic-tac » du compte à rebours bat la mesure dans toutes les têtes. Internet est coupé depuis une semaine. Tous les enfants ne vont pas à l’école. Nathalie n’ouvre son petit bar à chicha très cosy qu’en journée et non plus le soir « en attendant la proclamation ».

« En attendant », la plupart des Kinois confient que leur coeur bat pour un candidat d’opposition et mettent en garde contre des violences si la Commission électorale bafoue « la vérité des urnes » selon l’expression de la Conférence épiscopale.

En 2006 et en 2011, la proclamation de la victoire du président Joseph Kabila s’était soldée par un cycle protestation/répression, et la mort de plusieurs dizaines de personnes à Kinshasa.

– « La peur au ventre » –

« C’est avec beaucoup de désespoir que j’attends ces résultats », soupire Jeff Lushima, rencontré dans un débit de boisson au lendemain du report sine die de l’annonce des résultats par la Commission électorale.

« Nous craignons que la commission électorale ne soit pas à même de nous produire les résultats du suffrage tel qu’exprimé », s’inquiète l’avocat selon qui les Congolais vivent dans « une prison à ciel ouvert avec la coupure d’internet ».

« Si une autorité indépendante vous dit: dans 48 heures vous aurez des résultats et après une semaine on reporte de 14 jours, à ce moment-là on ne peut plus vous faire confiance », conclut Me Lushima entre deux gorgées de soda.

A ses côtés, un candidat de la coalition au pouvoir, Chirac Diasivi, n’a pas peur de ce retard puisqu’au cas où « la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) ne ferait pas preuve de bonne foi », la vérité des urnes sera rétablie grâce aux procès-verbaux, croit-il.

A Bandal, quartier populaire et branché du centre de Kinshasa, la peur se mêle à l’inquiétude. « Nous vivons la peur au ventre à cause de ce retard, puisque majorité et opposition revendiquent la victoire », déplore Joe Mpoyi, un jeune cambiste francs congolais/dollars rencontré près d’un débit de boisson.

Cette inquiétude est partagée par Sarkozy Misualu, vendeur de pièces de rechange à Bandal qui se fait coiffer en plein air, au rythme des coups de klaxon lancés par des dizaines de taxis jaunes: « je souhaite que la Céni nous restitue les résultats des urnes, parce que nous connaissons celui pour qui nous avons voté ».

Direction Lubumbashi (sud), la deuxième ville du pays à deux heures d’avion. Scènes de vie quotidienne tout aussi ordinaires qu’à « Kin ».

Et les mêmes inquiétudes dans les esprits. Yumba Ilunga, vendeur ambulant, estime qu’en cas de publication des résultats non conformes (à la vérité des urnes, ndlr), il va « descendre dans la rue pour exprimer (sa) colère ».

« C’est bien clair que le pouvoir a perdu ses élections voilà pourquoi il négocie nuitamment avec l’opposition. Si Emmanuel Ramazani Shadary (candidat de la coalition au pouvoir) avait gagné, on aurait déjà publié les résultats depuis. Ma crainte est que, si l’on tient à tout prix à le proclamer vainqueur, l’on soit avec un président comme au Burundi ou au Soudan » (c’est-à-dire mal élu et contesté par la population, ndlr), estime le philosophe et enseignant Damien Simbi.

A Goma (est) lundi matin, la police était déployée sur la route qui mène vers le quartier contestataire de Majengo.

Peu d’enfants circulaient à bord des bus scolaires en ce jour de rentrée scolaire. Dans des écoles, les responsables affirment avoir reçu moins d’élèves par rapport aux effectifs.

La vie normale avait repris dans l’après-midi. « Au rythme du pays ».

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