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Cameroun: « peur » des francophones pris pour cibles à Limbé

"On vit dans la peur" affirme Edouard, habitant de Limbé, cité balnéaire de la région camerounaise du Sud-Ouest anglophone, où…

« On vit dans la peur » affirme Edouard, habitant de Limbé, cité balnéaire de la région camerounaise du Sud-Ouest anglophone, où les francophones sont régulièrement pris pour cibles par des groupes séparatistes armés.

Dans cette ville cosmopolite où vit une importante communauté francophone, le malaise prend de l’ampleur au fur et à mesure que la crise anglophone s’amplifie.

De nombreux francophones, militaires et civils, ont préféré faire partir leurs familles par crainte d’agressions.

« J’ai déplacé ma famille vers Douala », la capitale économique proche, explique Edouard, jeune cadre administratif installé à Limbé depuis plusieurs années, car « on vit dans la peur ».

D’autres témoins, sous couvert d’anonymat, affirment avoir eu des proches « torturés » par des séparatistes.

Edouard n’ose plus retourner à Mile 4, quartier périphérique où il vivait depuis des années jusqu’à son déménagement en juillet. Surplombé par des montagnes, ce quartier coupé des autres zones de Limbé est un des rares de la ville où les séparatistes rôdent, armes et machettes à la main, pour marquer leur présence, selon des témoins.

– Commissariat attaqué –

Le reste du temps, ils sont reclus dans les montagnes environnantes.

Dans la nuit du 26 au 27 septembre, ils ont attaqué le commissariat de Mile 4, tuant deux policiers. Le quartier a été bouclé par l’armée durant plusieurs jours.

Auparavant, plusieurs incursions de séparatistes visant à intimider les francophones ont été rapportées à Mile 4. « Ils sont entrés dans le quartier et ont commencé à demander la maison des francophones », témoigne un habitant . « Ils sont passés chez moi à deux reprises pour me kidnapper, mais je ne m’y trouvais pas, heureusement », ajoute-t-il.

Selon lui, « ils ont tenté de kidnapper un voisin mais il a réussi à s’échapper ». « Il est arrivé aussi qu’ils viennent nuitamment entonner l’hymne national de l’Ambazonie (nom de l’Etat anglophone que les séparatistes veulent créer) devant la maison de certains francophones », poursuit-il.

La multiplication de telles incursions a contraint Edouard à déplacer sa famille, puis il a vécu plusieurs jours à l’hôtel avant de trouver un logement dans un autre quartier.

A Church Street, rue chic du centre-ville, plusieurs personnes prennent un verre dehors, mais francophones et anglophones forment des groupes séparés.

« En règle générale, il y a une mixité dans la vie des gens ici, mais en raison de la crise, il règne un climat de méfiance, les anglophones se méfient des francophones et vice-versa », affirme Edouard.

« Le malaise actuel peut basculer vers quelque chose de plus grave », prévient un responsable d’une ONG locale qui préfère rester anonyme.

S’estimant marginalisés, les anglophones réclament plus de considération, les plus radicaux militant pour la création d’un Etat anglophone indépendant regroupant les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, en proie à un conflit armé depuis près d’un an qui a fait des centaines de morts.

– Amalgame –

La crise actuelle « a permis aux anglophones de conclure qu’ils ne peuvent plus rien faire avec nous (francophones) parce qu’ils nous trouvent médiocres », souligne Danielle, installée à Limbé depuis 2005 et vivant avec un anglophone.

Mais pour Lessly, un des rares anglophones à accepter de s’exprimer sur le sujet, le malaise actuel découle en partie d’un amalgame. « Un citoyen (anglophone) ordinaire que tu rencontres dans la rue assimile les destructions et les meurtres commis par l’armée à des actes perpétrés par des francophones », explique-t-il.

Il admet que la crise est en train de fragiliser la cohésion entre les deux communautés, car les anglophones qui font cet amalgame ne savent pas que « dans cette même armée, il y a des anglophones ».

Pour ce jeune homme d’affaires, la « division n’est pas bonne » et « complique la vie à tout le monde aux plans social et économique ».

Limbé abrite la Société nationale de raffinage (Sonara), plus grande raffinerie du pays. L’objectif des séparatistes est de prendre le contrôle de cette société dont la plupart des cadres, de même que le directeur général, sont francophones.

La ville accueille aussi une base du Bataillon d’intervention rapide (BIR), unité d’élite de l’armée dont les éléments sont régulièrement aperçus en ville au cours de leurs incessants va-et-vient entre Limbé et les épicentres de la guerre de sécession comme Kumba ou Mamfe.

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