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Claude Lanzmann, un grand passeur de mémoire

Journaliste, cinéaste, écrivain, grand passeur de mémoire, Claude Lanzmann, décédé jeudi à 92 ans à Paris, aura marqué l'histoire du…

Journaliste, cinéaste, écrivain, grand passeur de mémoire, Claude Lanzmann, décédé jeudi à 92 ans à Paris, aura marqué l’histoire du XXe siècle avec « Shoah », film monument sur l’extermination des Juifs par les nazis.

« Je suis habité par la conscience orgueilleuse de ce que j’ai accompli », disait le réalisateur à propos de ce film de 9h30, sorti en 1985, qui a obtenu des récompenses dans le monde entier (dont, en France, un César d’honneur en 1986) et a été vu par des dizaines de millions de spectateurs.

« Cent vies, je le sais, ne me lasseraient pas », affirmait cet intellectuel au caractère téméraire, voire trompe-la-mort, à l’existence menée tambour battant.

Petit-fils d’immigrés juifs biélorusses, Claude Lanzmann naît le 27 novembre 1925 à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine) d’un père décorateur et d’une mère antiquaire. Il doit très tôt faire face à l’antisémitisme, notamment au lycée parisien Condorcet.

En 1940, son père, résistant, l’emmène à Brioude (Haute-Loire), avec son frère cadet Jacques (décédé, écrivain et parolier du chanteur Jacques Dutronc) et sa soeur Evelyne (qui sera actrice et se suicidera).

Là, il les entraîne à disparaître sans laisser de traces, simulant des rafles. « A travers les branchages, nous apercevions ses bottes de SS et nous entendions sa voix angoissée de père juif : +Vous avez bougé, vous avez fait du bruit+ », a raconté Claude Lanzmann dans ses mémoires, « Le lièvre de Patagonie » (2009).

Encensé par la critique, cet ouvrage est son unique « vrai » livre, les autres étant des recueils d’articles et les textes de ses films.

A 18 ans, il entre dans la Résistance, participant aux maquis d’Auvergne. Après la guerre, il part étudier la philosophie à Tübingen en Allemagne, devient lecteur de littérature française et de philosophie à l’Université Libre de Berlin.

– « Maître du temps » –

A son retour en France, il gagnera sa vie, pendant des années, comme « rewriter », dans des journaux du groupe de Pierre Lazareff, comme France-Dimanche ou France-Soir.

En 1952, Claude Lanzmann rencontre Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Il devient leur ami et entre au comité de rédaction de la revue « Les Temps Modernes », fondée par le couple.

Il vit une histoire d’amour de 7 ans avec la philosophe féministe.

La première fois qu’il revoit Sartre, après avoir passé la nuit avec Simone, il a « un peu d’appréhension ». Ce n’était pas la peine : Sartre « bénissait cette union (…). Il rayonnait du visible bonheur du + Castor +(ndr: surnom de Simone de Beauvoir), me témoignant une amitié allègre et vraie », a-t-il écrit.

Après leur rupture, lui et Simone resteront très proches. En 1986, après son décès, il deviendra directeur de la prestigieuse revue.

Autour des années 60, après un séjour en Corée, il s’engage dans les luttes anti-colonialistes et fera partie des inculpés, parmi les signataires du Manifeste des 121, qui dénoncent la répression en Algérie. Il s’éloigne politiquement de Sartre, après 1968.

Ensuite, il devient cinéaste. Il tourne d’abord « Pourquoi Israël » (1972). Puis c’est l’épopée de « Shoah » dont le tournage, très éprouvant, durera 12 ans. « J’ai été le maître du temps », a-t-il expliqué à propos de cette oeuvre majeure, réalisée sans images d’archives.

Claude Lanzmann a aussi tourné « Tsahal » (1994), « Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures » (1997), « Un vivant qui passe » (2001), « Le rapport Karski » (2010), « Le Dernier des injustes » (2013), « Napalm » (2017) et « Les Quatre soeurs » (2018), films parfois réalisés à partir des quelque 340 heures de prises de vues non utilisées pour « Shoah ».

Sorti en salles ce mercredi en France, son dernier film, « Les Quatre soeurs », constitué d’images tournées pendant les douze ans de travail sur « Shoah », rassemble les témoignages de quatre femmes juives, témoins et survivantes de l’Holocauste.

Grand défenseur de l’Etat d’Israël, l’auteur de « Pourquoi Israël » dénonçait avec force « l’antisionisme », l' »un des masques de l’antisémitisme », disait-il à l’AFP en 2015.

Père de deux enfants, dont l’un, Félix, est décédé l’an dernier d’un cancer à l’âge de 23 ans, il a été marié avec la comédienne Judith Magre, avant de divorcer et de se remarier deux fois.

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