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« Contre-révolutionnaire » ou stratégique: l’expulsion de Battisti divise en Bolivie

La décision du président socialiste bolivien Evo Morales d'expulser sans tarder l'ex-militant d'extrême gauche Cesare Battisti vers l'Italie suscitait lundi…

La décision du président socialiste bolivien Evo Morales d’expulser sans tarder l’ex-militant d’extrême gauche Cesare Battisti vers l’Italie suscitait lundi des réactions contrastées, son camp dénonçant un acte « contre-révolutionnaire » tandis que l’opposition a salué ce choix.

Cesare Battisti, 64 ans, condamné à perpétuité en Italie pour quatre meurtres, et en cavale depuis 37 ans, a été arrêté samedi soir, à Santa Cruz, dans l’est de la Bolivie. Moins de vingt-quatre heures après, il était remis aux autorités italiennes et embarqué à bord d’un avion dépêché par Rome en direction de l’Italie.

Une telle célérité a suscité de vives critiques dans le camp du président bolivien, le plus ancien président en exercice d’Amérique latine et un des derniers représentants de la « vague rose » qui a déferlé au tournant des années 2000 sur le continent, désormais nettement marqué à droite.

Raul Garcia Linera, le frère du vice-président Alvaro Garcia Linera, a qualifié de « contre-révolutionnaire » la décision d’expulser l’Italien, un choix « injuste, lâche et réactionnaire ».

« Les intérêts de l’Etat se sont placés au-dessus de la morale révolutionnaire, de la praxis révolutionnaire. Nous avons livré un prisonnier qui avait demandé l’asile, comme une simple marchandise, un acte contraire aux règles », a-t-il déclaré.

Après avoir passé près de 15 ans en France Cesare Battisti avait refait sa vie depuis 2004 au Brésil. Le 13 décembre, un juge de la Cour suprême du Brésil avait ordonné son arrestation et son acte d’extradition avait été signé le lendemain.

Il avait alors fui en Bolivie, où il avait déposé une demande d’asile politique.

L’ex-ministre de l’Intérieur, Hugo Moldiz, a estimé que les droits de Cesare Battisti n’avaient pas été respectés et que le « coût politique pour le gouvernement bolivien serait élevé ».

« C’est comme si on avait attrapé (Ernesto) Che Guevara et qu’on l’avait livré à la droite », s’est indigné de son côté Rolando Cuellar, chef des jeunesses du parti du président Morales, le Mouvement vers le socialisme (MAS), qui a qualifié le ministre de l’Intérieur, Carlos Romero, de « Judas ».

– L’Union européenne et le Brésil –

Des critiques se sont fait également entendre en Europe. L’eurodéputé écologiste français José Bové et d’autres militants altermondialistes ont envoyé une lettre à Evo Morales pour lui demander des explications.

A l’inverse, le président bolivien, qui ne s’est pas encore exprimé publiquement sur ce dossier, a reçu les félicitations de l’opposition.

« Je dis sans haine, mais avec fermeté que la Bolivie ne peut être un refuge pour les assassins et les terroristes », a salué le chef de l’opposition, Samuel Doria Medina.

Pour le sociologue Carlos Borth, la décision du président bolivien, en campagne pour un quatrième mandat, se veut un message en direction de l’Union européenne (UE). « Cette décision vise à ne pas ouvrir d’autres fronts de tension sur la scène internationale, en particulier avec l’Union européenne », estime le chercheur.

Ces dernières années, la Bolivie et l’UE entretiennent des relations plutôt tendues. En mars 2017, notamment, la décision de La Paz de doubler la surface de culture légale de la feuille de coca, de 12.000 à 22.000 hectares, avait fait grincer des dents à Bruxelles.

Selon une étude financée par l’Union européenne en 2013, quelque 14.700 hectares de coca sont suffisants pour couvrir la demande légale.

Ne pas avoir expulsé Battisti « aurait eu des conséquences imprévisibles pour la Bolivie », a ajouté Carlos Borth.

« Le régime de gauche d’Evo Morales a accepté de livrer Battisti en raison de ses intérêts stratégiques », juge pour sa part Gaspard Estrada, spécialiste de l’Amérique latine à Sciences Po.

« Il y aura une présidentielle en Bolivie en 2019, la Bolivie va mieux que le reste de l’Amérique du Sud (si on prend en compte) ses indicateurs économiques, elle a besoin d’un contexte régional pacifié », a-t-il ajouté.

Evo Morales était un des seuls présidents d’Amérique latine de gauche à participer à la cérémonie d’investiture du président d’extrême droite brésilien Jair Bolsonaro et « la Bolivie fait face à des renégociations importantes, en ce qui concerne le gaz, dans ses relations bilatérales avec le Brésil », rappelle le chercheur.

Le Brésil est le principal marché pour le gaz bolivien.

« Cette arrestation permet à la Bolivie d’envoyer un signal vis-à-vis du gouvernement brésilien », a ajouté M. Estrada.

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