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Côte d’Ivoire: Bernard Dadié, l’écrivain centenaire qui a fait des émules

"Il était un monument vivant et même mort, il est encore plus grand", témoigne le ministre ivoirien de la Culture,…

« Il était un monument vivant et même mort, il est encore plus grand », témoigne le ministre ivoirien de la Culture, Maurice Bandaman : en Côte d’Ivoire, les hommages dithyrambiques se sont succédé après la mort à 103 ans de l’écrivain Bernard Dadié, inhumé vendredi.

Considéré comme le « père de la littérature ivoirienne », Bernard Binlin Dadié est l’auteur d’une œuvre prolifique dans laquelle il a abordé tous les genres : poésie, roman, chroniques, contes traditionnels et théâtre.

Né en 1916 à Assinie (sud-est de la Côte d’Ivoire) et décédé le 9 mars dernier, l’écrivain était « un homme convivial, affable, accessible », explique M. Bandaman.

Grand par la taille et précoce intellectuellement, Dadié est formé à l’école française en Côte d’Ivoire puis à Dakar, et se fait connaître dès 1934, à 18 ans, avec une pièce de théâtre satirique, « Les Villes », devenant le premier auteur de théâtre d’Afrique francophone.

En 1950 il publie un recueil de poèmes engagés, « Afrique debout ! », qui dénonce les relations de domination entre Blancs et Noirs dans l’Afrique coloniale. Dès ses premiers écrits, l’auteur de la pièce « Béatrice du Congo » milite pour l’indépendance d’une Côte d’Ivoire alors française. Il exalte le « haut idéal de libération qui doit être celui de tout Noir ».

– Critique et précurseur –

Son autobiographie romancée, « Climbié », parue en 1952, est sans doute son oeuvre la plus célèbre, exprimant les dilemmes identitaires de la jeunesse noire alphabétisée, très critique vis-à-vis du colonialisme. Dans la même lignée, son roman « Les jambes du fils de Dieu », publié en 1980, remporte aussi un franc succès. Tout comme ce poème au titre évocateur: « Je vous remercie mon Dieu de m’avoir créé noir! »

Ses livres de contes, « Légendes africaines » (1954) et « Le Pagne noir » (1956), puisent dans la tradition orale africaine. Là encore, il est un précurseur, insistant sur l’importance de la transmission des racines culturelles africaines.

Sa trilogie romanesque « Un Nègre à Paris » (1959), « Patron de New York » (1964) et « La Ville où nul ne meurt » (1969) conte avec ironie la confrontation de l’homme africain avec les métropoles occidentales. Elle lui vaudra deux fois le grand prix littéraire d’Afrique noire.

« Ecrire est, pour moi, un désir d’écarter les ténèbres, un désir d’ouvrir à chacun des fenêtres sur le monde », avait déclaré l’écrivain, en recevant en 2016 un prix de l’Unesco.

Pour Nicole Vincileoni, universitaire et auteure d’un ouvrage de référence sur son oeuvre, « Bernard Binlin Dadié est l’écrivain le plus fécond de la littérature néo-africaine (…) et avec Léopold Sédar Senghor, le plus traduit ».

Parallèlement à sa carrière littéraire, Dadié s’engage en politique à son retour du Sénégal à la fin des années 1940.

– ‘Eduquer l’Homme’ –

Son père Gabriel Dadié fut en 1946 l’un des fondateurs du Rassemblement démocratique africain (RDA), mouvement panafricain à la pointe de l’anticolonialisme, avec celui qui deviendra le « père de l’indépendance ivoirienne » et premier président du pays, Félix Houphouët-Boigny.

Ses chroniques subversives valent à Bernard Dadié plus d’un an de prison, entre 1949 et 1950.

Après l’indépendance, il devient haut fonctionnaire, puis ministre de la Culture de 1977 à 1986. On lui doit la création de l’Institut national des arts d’Abidjan et de l’école de théâtre qui ont fusionné plus tard pour former l’actuel Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (Insaac), un établissement de référence en Afrique.

Mais très critique à l’égard d’un Houphouët intouchable du temps de son règne (1960-1993), il finit par devenir un compagnon de route de l’opposant numéro un du « Vieux », Laurent Gbagbo, allant jusqu’à présider le Congrès national de la résistance pour la démocratie, coalition de partis pro-Gbagbo de 2005 à 2010.

Pour le professeur Valy Sidibé, chercheur et homme de lettres ivoirien, qui a consacré une thèse de doctorat à Dadié, « un écrivain de sa trempe, la conscience critique de son temps », n’aurait pas dû « s’acoquiner dans une histoire de parti ».

« Il a toujours cru qu’avec la plume, l’écrivain peut libérer l’humanité, qu’on peut éduquer l’Homme à une meilleure qualité d’être. Il a toujours rêvé d’une société de justice et de partage. C’est ce que nous retenons de son engagement politique et littéraire », soutient M. Bandaman, également écrivain.

La disparition du centenaire Dadié « laisse la littérature ivoirienne certes orpheline, mais foisonnante », se félicite M. Bandaman : « aujourd’hui il y a une centaine d’écrivains qui publient chaque année » en Côte d’Ivoire.

Bernard Dadié avait perdu son épouse en 2018. Il était père de neuf enfants.

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