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Crise Soro-Ouattara: « Il est inenvisageable qu’ils se réconcilient » (analyste)

Le journaliste et analyste politique spécialisé dans les affaire africaines, Louis Keumayou, explique les raisons et les évolutions possibles de…

Le journaliste et analyste politique spécialisé dans les affaire africaines, Louis Keumayou, explique les raisons et les évolutions possibles de la crise actuelle en Côte d’Ivoire entre le président Alassane Ouattara et son ancien allié Guillaume Soro. Un entretien exclusif avec APA.Quelles sont les origines du conflit entre Guillaume Soro et Alassane Ouattara, qui secoue actuellement la Côte d’Ivoire ?

Ouattara et Soro ont des relations historiquement très fortes. Quand Guillaume Soro alors jeune leader étudiant crée, avec des miliaires originaires du nord comme Ouattara et lui, une rébellion contre le pouvoir de Laurent Gbagbo, une de ses motivations étaient de mettre fin à l’interdiction de briguer la présidence dont était à l’époque victime Ouattara au nom de la notion d’ivoirité. Quand Alassane Ouattara est finalement autorisé à présenter sa candidature à la présidentielle de 2010 et qu’il l’a remportée, c’est avec le soutien des Forces Nouvelles de Guillaume Soro qu’il peut défendre sa victoire et entrer au Palais présidentiel. Cela se passe après une crise post-électorale dont le bilan en pertes humaines dépasse les 3000 morts. Guillaume Soro devient un précieux allié du nouveau président. Nommé Premier ministre, l’ex-chef rebelle devient ensuite président de l’Assemblée nationale. Cependant, la relation entre les deux hommes ne résiste pas à l’épreuve du pouvoir. Cette dégradation s’est accentuée et accélérée à l’approche de l’élection présidentielle prévue à l’automne 2020 qui, selon les partisans de Guillaume Soro, devait normalement ouvrir la porte à une succession de Ouattara. Aujourd’hui, les désaccords profonds entre les deux hommes ne sont pas une surprise. C’est la manière de les gérer qui est importante aujourd’hui. Et l’impression générale qui est donnée c’est que ces désaccords sont très mal gérés.

Que représente Soro dans la vie politique ivoirienne ?

Il représente une génération nouvelle d’hommes politiques. Il s’est fait connaître en politique par les armes. Il a certes été chef syndicaliste lors de son passage à l’université d’Abidjan. Mais il a surtout été un chef rebelle. Depuis la fin du conflit armé, il a en quelque sorte normalisé sa situation en devenant un homme politique de premier plan. Il a été ministre de la Défense, Premier ministre, président de l’Assemblée nationale. Il a fait une carrière qui a failli faire oublier le fait qu’il ait pris les armes, au début, contre les autorités de son propre pays. Aujourd’hui, il prétend assumer la fonction suprême dans son pays, son passé revient le hanter. Il sera peut-être son principal handicap sur le chemin du pouvoir. Mais il est jeune, donc tout est encore possible.

Que signifie l’émission récente d’un mandat d’arrêt international contre Soro ?

Il y a deux possibilités: Soit c’est exécuté, soit il ne l’est pas. Dans le cas actuel, il y a de fortes chances qu’il ne soit pas exécuté. Parce que Guillaume Soro se trouve en France, et que le président Macron ne veut pas forcément être accusé de faire de l’ingérence dans la vie politique ivoirienne, surtout dans cette période pré-électorale. Donc je pense que le mandat ne sera pas exécuté. Mais même s’il était exécuté, la chose qui pourrait arriver, c’est que Guillaume Soro serait arrêté et mis en prison. Et cela pourrait dégénérer sur une nouvelle crise politico-sociale en Côte d’Ivoire. C’est le risque qui est aujourd’hui encouru.

Pour être candidat à la présidentielle de 2020, il doit rentrer en Côte d’Ivoire. S’il ne rentre pas, il restera dans la posture du candidat à la candidature. Et s’il rentre, on verra bien ce qui se passera. Rien ne garantit qu’à son retour il lui soit interdit de se présenter, mais encore faudrait-il qu’il remplisse toutes les autres conditions pour que sa candidature soit jugée recevable par les autorités ivoiriennes.

Alassane Ouattara et Guillaume Soro partagent la même base politique, celle des populations originaires du nord du pays. Est-ce que ce conflit ne les affaiblit pas tous les deux ?

Je ne suis pas certain que les deux soient affaiblis de la même manière par cette crise. Ils sont tous les deux du nord de la Côte d’Ivoire, partagé entre les Dioula, comme Alassane Ouattara et les Sénoufo, comme Guillaume Soro. C’est une base électorale qu’ils ont en commun. Ils ne sont pas candidats à la députation, mais pour être présidents de tous les Ivoiriens. Donc est-ce que cela va avoir le même impact d’abord dans leur base, au nord de la Côte d’Ivoire que dans le sud ? C’est la grande inconnue sur laquelle il est, en l’état actuel des choses, difficile de se prononcer. La seule chose qui aurait pu permettre de contourner cet obstacle, ce sont les alliances politiques. Or en la matière, Alassane Ouattara n’a pas une surface très importante. Guillaume Soro, de son côté, a essayé de se réconcilier avec la plupart de ses adversaires politiques d’hier. Que ce soit Konan Bédié, Charles Blé Goudé ou d’autres militants du FPI (le parti de Gbagbo). Il y a une caravane qui a parcouru la Côte d’Ivoire en son nom. Il a fait le tour de la diaspora aussi. Je pense que sur le terrain de la mésentente, Guillaume Soro s’en tirerait le mieux qu’Alassane Ouattara.

Peut-on s’attendre à une médiation entre les deux hommes ?

Je crois que nous sommes arrivés à un point de non-retour par rapport à la possibilité pour les deux de se rabibocher. Je pense que ça devient de moins en moins envisageable aujourd’hui. L’émancipation de Guillaume Soro, sa déception de ne pas avoir la présidence du RHDP (nouveau rassemblement de partis politiques de la majorité ou le RDR, le parti de Ouattara) comme cela lui avait été annoncé, le fait qu’on lui ait forcé la main pour qu’il démissionne de la présidence de l’Assemblée nationale et tout ce qui est en train d’être dit sur lui aujourd’hui avec le point culminant qu’est ce mandat d’arrêt… Tout cela, ce sont des pierres dans le jardin des deux hommes. De mon point de vue, il est inenvisageable qu’ils se réconcilient.

Sur le plan diplomatique, comment analyser le fait que le Ghana ait refusé d’accueillir Guillaume Soro ?

Nous sommes sur un terrain qui est très politique, mais aussi très diplomatique. Le Ghana est un voisin immédiat de la Côte d’Ivoire. Je pense qu’il est important pour ce pays de rester en bons termes avec son voisin ivoirien. Maintenant, vous pourriez dire que des militants du FPI restent encore au Ghana sans que cela pose de problèmes diplomatiques entre les deux pays. Mais la menace n’est pas de même nature. Guillaume Soro est accusé d’avoir tenté un coup d’Etat contre le président Ouattara. A partir d’une accusation comme celle-là, tant qu’on n’a pas la preuve de sa véracité ou pas, je crois qu’il est prudent de ne pas s’impliquer dans les affaires intérieures en prenant partie. Le Ghana essaie de donner des gages de neutralité.

La présence de Soro n’est-elle pas aussi menacée en France, suite aux critiques contre le président Emmanuel Macron ?

La France n’a pas à être au centre du jeu quand il s’agit de politique ivoirienne. Elle a à respecter ses règles en matière d’accueil des étrangers. Guillaume Soro est un étranger en France. S’il remplit les conditions pour vivre en France, il sera accueilli en France. Si sur le plan légal rien n’oblige les autorités françaises à l’expulser du territoire, il restera en France. Si à un moment ou un autre il y a un problème de légalité concernant son séjour, il sera expulsé vers la Côte d’Ivoire ou vers un autre pays. Mais pour l’instant, la question ne se pose pas.

Est-ce que Soro a toujours des fidèles au sein de l’armée dont une partie des chefs actuels et des soldats est issue de la rébellion qu’il a lui-même dirigée dans les années 2000 ?

La question n’est pas de savoir s’il a toujours des amis, ou pas, dans l’armée. Elle est de savoir si l’armée ivoirienne est devenue républicaine. Le vrai enjeu est là. Parce qu’après avoir combattu pour renverser le président qui était là, en l’occurrence Laurent Gbagbo, il fallait convertir cette armée de mercenaires en armée républicaine, en les intégrant au sein de l’armée ou en les désarmant. Cette mutation n’a pas eu lieu. En plus, le processus de réconciliation en lui-même n’a pas réussi. On s’est retrouvé avec des soldats au sein de l’armée qui étaient plus des partisans que des soldats républicains. Les différentes mutineries qui se sont produites ont montré que cette fusion n’avait pas eu lieu. Et récemment encore, le président Ouattara a reçu les commandants de zone, probablement pour leur demander de quel côté ils étaient. Mais c’est assez inquiétant pour un pays comme la Côte d’Ivoire. Si après plus de 10 ans de pouvoir, le président Ouattara en est encore à recevoir les commandants de zone, c’est qu’il constate lui-même qu’il y a un problème. Ce n’est pas l’état-major des armées qu’il a reçu, mais des anciens commandants de zone. Il subsiste donc un problème d’intégration de ces anciens commandants de zone au sein de l’armée ivoirienne. Rien ne garantit que la loyauté de ces combattants soit nationale, et qu’ils ne reprendront pas les armes contre leurs frères d’armes ou le peuple ivoirien, si la situation socio-politique dérivait vers une nouvelle crise socio-politique.

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