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Dans la rue, les Soudanaises se battent pour leurs droits

A 26 ans, Aseel Abdo a rejoint le mouvement de protestation contre le régime du président soudanais Omar el-Béchir, mais…

A 26 ans, Aseel Abdo a rejoint le mouvement de protestation contre le régime du président soudanais Omar el-Béchir, mais se dit menacée au point d’avoir dû quitter sa maison pour se cacher des autorités.

« Je vais continuer à manifester, même si cela prend des années pour faire tomber ce régime », dit la jeune femme, qui s’exprime par le biais de la messagerie WhatsApp, pour des raisons de sécurité.

Les services de sécurité auraient menacé de l’arrêter, l’obligeant à changer plusieurs fois de lieu de résidence, raconte-t-elle.

Depuis le 19 décembre, les manifestations se sont multipliées au Soudan, à la suite de la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, dans un pays en plein marasme économique.

Vingt-quatre personnes sont mortes depuis le début du mouvement, d’après un bilan officiel. Les ONG Human Rights Watch et Amnesty International évoquent pour leur part au moins 40 morts.

Selon les analystes, ce mouvement représente le plus sérieux défi pour le président Béchir depuis son arrivée au pouvoir en 1989 à la faveur d’un coup d’Etat soutenu par les islamistes.

Comme Mme Abdo, révoltée par la condition des femmes au Soudan, les manifestantes ne ménagent pas leurs efforts pour lutter contre le régime en place.

– « Paix, liberté, justice » –

Depuis un mois, des centaines d’entre elles descendent dans la rue, sifflant, tapant des mains et poussant des youyous. Elles ont pris une part active au mouvement, selon des vidéos relayées sur les réseaux sociaux où on les voit, portant des foulards, se mêler à la foule.

Marchant aux côtés de centaines manifestants, les femmes ont scandé « paix, liberté, justice » ou « la révolution est le choix du peuple », bravant les tirs de gaz lacrymogène.

D’autres, résidentes des quartiers traversées par les manifestations, ont offert du thé et des jus de fruit aux manifestants, selon des témoins.

« Ce régime possède les pires lois contre les femmes », explique à l’AFP Mme Abdo. « Vous pouvez être arrêtée parce que vous portez des pantalons ou si votre écharpe ne couvre pas correctement vos cheveux ».

Des militants affirment que des centaines de femmes ont été condamnées à être flagellées en raison d’une loi controversée, qui prévoit de lourdes amendes et des peines de prison.

En juillet, un tribunal a condamné à mort Noura Hussein, une adolescente, pour le « meurtre intentionnel » de son mari, qui selon elle, l’avait violée après un mariage forcé.

Après une vague d’indignation internationale, une cour d’appel a ensuite transformé la peine à cinq ans de prison.

La cas de la jeune fille a donné un coup de projecteur sur la question du mariage forcé au Soudan et l’application arbitraire de la loi islamique et des traditions tribales.

Et les manifestations ont enfin offert une opportunité aux femmes pour se faire entendre, se réjouit Emad Badawi, une mère de famille qui participe régulièrement aux manifestations contre le gouvernement, où elle scande des slogans sur la liberté.

Son rêve? « Voir la fin des discriminations contre les femmes », déclare-t-elle.

– Le temps du « changement » –

Si Aseel Abdo se rend aux manifestations, c’est aussi pour protester contre la politique du gouvernement au Darfour.

« Le régime de Béchir a commis les pires crimes au Darfour », assure la jeune femme, originaire de cette région de l’ouest.

Vaste comme la France, le Darfour est secoué depuis 2003 par un conflit opposant les forces soudanaises à des rebelles issus de minorités ethniques et s’estimant marginalisés par le pouvoir central. Ce conflit a fait plus de 300.000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l’ONU.

Le président soudanais est, de longue date, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour répondre d’accusations de génocide et crimes de guerre dans cette région.

Pour mettre fin aux mariages forcés au Darfour, Mme Abdo avait fondé une ONG qui a été immédiatement fermée par les autorités, assure-t-elle. « Ils m’ont dit que ma place était dans la cuisine et que je devrais faire la vaisselle », déplore-t-elle.

Les manifestations, qui regroupent femmes et hommes, ont aussi réussi à mêler des Soudanais de tribus et ethnies différentes.

« Dans ces manifestations, j’ai vu mes compatriotes dépasser le racisme inhérent à notre société », estime Babiker Mohamed, un responsable humanitaire basé à Washington.

« Les manifestants qui scandent dans les rues +Nous sommes tous le Darfour+ nous donnent l’espoir que le changement est inévitable », ajoute-t-il.

Pour Mme Badawi, le temps de ce « changement » est arrivé: « Même mon fils de 11 ans est surpris d’apprendre que le président Béchir est au pouvoir depuis 30 ans ».

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