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Dans l’Arctique russe, les ours polaires menacés par une présence humaine accrue

Des ours polaires dans les cages d'escaliers: la scène, observée récemment dans l'Arctique russe, risque de se reproduire avec la…

Des ours polaires dans les cages d’escaliers: la scène, observée récemment dans l’Arctique russe, risque de se reproduire avec la fonte des glaces et le renforcement de la présence humaine dans une région au développement stratégique pour Moscou, selon des scientifiques.

Les images de l’incident ont fait le tour du monde: des dizaines d’ours polaires à la recherche de nourriture ont approché en février Belouchia Gouba, ville principale de l’archipel arctique de la Nouvelle-Zemble, certains entrant dans les immeubles et se montrant agressifs.

Débordées, les autorités locales ont décrété l’état d’urgence le temps que les ours repartent plus loin une dizaine de jours plus tard.

Sur les réseaux sociaux, les critiques ont fusé contre les autorités, accusées d’avoir laissé s’accumuler des piles de déchets en périphérie des zones habitées de l’archipel où se trouve une garnison militaire.

Au-delà de possibles négligences, des tendances de fond expliquent un phénomène amené à se répéter: renforcement de la présence russe dans l’Arctique pour la prospection d’hydrocarbures, ouverture d’une nouvelle route maritime par le Nord pour le commerce mondial et multiplication des bases militaires.

« Le développement de l’Arctique va sans aucun doute augmenter le risque de conflits avec les humains, d’autant plus que les ours polaires perdent actuellement leurs zones de vie dans plusieurs régions », souligne le biologiste Anatoli Kotchev.

– Présence militaire renforcée –

L’archipel de la Nouvelle-Zemble, situé entre la mer de Kara et la mer de Barents, est un bon exemple des territoires où les intérêts de Moscou entrent en conflit avec l’habitat des ours polaires.

La zone est victime d’une rapide fonte des glaces avec une perte de 20 semaines par an sur les dernières décennies, selon l’organisation Polar Bears International.

« Les données montrent que la glace se formait auparavant non loin de Belouchia Gouba en décembre. Pendant des milliers d’années, les ours y migraient alors à cette époque de l’année pour chasser les phoques. Cette année, ils sont arrivés et il n’y avait pas de glace », résume Ilia Mordvintsev, qui faisait partie d’un groupe de scientifiques envoyés sur place pour gérer la crise.

Si de la glace s’est finalement formée et que les ours ont pu repartir chasser, la répétition d’un tel scénario n’est pas exclue, dit-il.

Ancien site soviétique d’essai d’armes nucléaires, la Nouvelle-Zemble est un territoire fermé au public et l’armée y construit actuellement de nouvelles infrastructures.

Un nouveau port devrait ainsi bientôt y voir le jour, tandis que les réserves de métaux précieux pourraient y être exploitées.

Avec l’arrivée de nouveaux contingents de police militaire l’année dernière, la population de Belouchia Gouba dépasse 2.000 personnes.

– Direction Canada ? –

Les difficultés à cohabiter entre ours et militaires dans l’Arctique ne datent pas d’hier. Sur l’île Wrangel en 1991, des soldats nouvellement déployés ont dû repousser d’un coup de hache un ours polaire devenu trop agressif, se souvient M. Kotchnev. « Lorsqu’ils sont partis l’année d’après, nous étions soulagés: il ne restait que du personnel sachant comment se comporter en présence des ours. Mais maintenant tout recommence. »

En 2014, Moscou a fait de l’Arctique une priorité stratégique pour son armée.

L’année suivante, le scientifique a critiqué sur son blog une nouvelle base militaire sur une île de la région après la mort d’un ours polaire qui avait avalé une fusée de détresse sur une île de l’Arctique. Il a perdu son poste d’employé d’un parc national.

Outre le renforcement militaire, les ours sont affectés par le développement du passage Nord-Est, dont la Russie veut faire une importante route maritime entre l’Europe et l’Asie par le Nord pour le commerce mondial.

Le président Vladimir Poutine a fixé un objectif de 80 millions de tonnes de marchandises y transitant d’ici 2024, contre 18 millions aujourd’hui.

« L’utilisation de brises-glaces dans des zones où les phoques donnent naissance à leurs petits va affecter leur population » alors que les ours s’en nourrissent, relève M. Mordvintsev.

Dotés d’une certaine capacité d’adaptation, les ours polaires « vont tout simplement quitter la Russie », prévient M. Kotchnev: « Si la période sans glace augmente de deux ou trois semaines supplémentaires, ils vont probablement migrer vers le Nord du Canada, où les changements sont moins significatifs ».

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