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Dans le centre du Mali, un cycle de violences alimenté par la peur et la vengeance (expert)

Le cycle de violences dans le centre du Mali, comme la tuerie de Sobane Da la semaine dernière, se nourrit…

Le cycle de violences dans le centre du Mali, comme la tuerie de Sobane Da la semaine dernière, se nourrit de la peur qu’inspirent à chaque communauté les groupes armés des autres et seul le dialogue permettra d’en sortir, selon Ibrahim Yahaya Ibrahim, analyste à l’ICG.

Cet expert basé à Dakar est l’un des auteurs du rapport de l’International Crisis Group publié en mai qui recommande au gouvernement d’ouvrir des canaux de communication avec la « katiba Macina », le groupe du prédicateur radical Amadou Koufa dans le centre du Mali, et ses partisans.

– Les critiques contre la lenteur de l’armée sont-elle justifiées?

« Au Mali, comme au Burkina Faso, ce sont des armées qui ont des capacités très limitées.

En général, ça prend beaucoup de temps pour organiser une sortie militaire, une patrouille, aller d’un endroit à un autre, pour s’assurer qu’on ne va pas tomber dans une embuscade.

Par ailleurs, ce sont des crises qui ont lieu dans des petits bourgs, parfois des hameaux, ou des grands villages, éparpillés sur des dizaines de milliers de km2. Donc être partout à la fois, c’est très difficile, et les forces internationales sont confrontées aux mêmes problèmes ».

Faut-il attribuer l’attaque de Sobane Da aux jihadistes ?

« Ce n’est pas le mode opératoire des jihadistes. Ils n’ont pas l’habitude de s’attaquer à des communautés, ils l’ont dit clairement dans leurs discours.

Depuis Ogossagou (massacre de quelque 160 villageois peuls attribué à des chasseurs traditionnels dogons dits +dozos+, le 23 mars, NDLR), il y a eu beaucoup d’accrochages entre les jihadistes et les dozos, ce qui était assez rare avant.

Mais de là à attaquer toute une communauté, des femmes et des enfants, ça nécessiterait un grand changement dans leur discours et leur tactique. Sans oublier qu’il y a des Dogons jihadistes, donc il serait difficile pour eux de justifier qu’on attaque leur communauté de manière indiscriminée.

Cela dit, il y a des milices peules dans cette zone qui ont demandé aux jihadistes leur bénédiction ou leur appui pour faire face aux violences perpétrées par les dozos.

Donc, il se pourrait que des milices peules, en particulier celles dont les villages ont récemment été victimes des violences des dozos, soient responsables, tout comme il se pourrait que certains éléments jihadistes qui n’agissent pas au nom de la katiba Macina y aient participé. Seule l’enquête nous dira exactement qui en sont les vrais responsables ».

Comment cet engrenage s’est-il déclenché ?

« Les tensions entre Peuls et Dogons se sont surtout exacerbées à partir de 2015, quand la katiba Macina est apparue et que des jihadistes qui accusent certains éléments dogons et bambaras de collaborer avec l’armée ont commencé à les éliminer.

Même si ces attaques étaient très ciblées, les milices ont considéré que chaque Dogon ou chaque Bambara touché, c’est comme si c’était la communauté qui était attaquée, donnant lieu à des représailles contre les communautés peules, soupçonnées de collaborer avec les jihadistes.

Aujourd’hui, c’est une situation qui est alimentée par la peur, la peur que ce soit l’autre qui attaque le premier, et un sentiment de vengeance. Il y a aussi un élément de banditisme et un désir de s’accaparer des terres ».

Comment en sortir ?

« Cette violence communautaire est dérivée de l’insurrection jihadiste mais elle dépasse le cadre de l’insurrection jihadiste elle-même.

Le problème n’a pas commencé avec une tension entre des communautés, mais par des groupes armés de part et d’autre, les jihadistes d’un côté et les milices dozos de l’autre. On ne peut pas faire la paix sans impliquer ces groupes armés-là.

Parler entre les communautés en excluant les jihadistes ne marchera pas. Il va falloir parler avec les jihadistes, les amener à la table des négociations. Quand deux groupes se font la guerre, vous ne pouvez pas désarmer un groupe et laisser l’autre avec ses armes.

Mais les options ne sont pas nombreuses. Lorsque le président malien (Ibrahim Boubacar Keïta, NDLR) dit que la survie du Mali est en jeu, je crois qu’il a raison ».

Propos recueillis par Selim SAHEB ETTABA

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