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Des jeunes Afghans expriment leur colère dans les « lettres de douleur »

Omaid Sharifi, à la tête d'un collectif d'artistes basé à Kaboul, est assis dans son studio, lisant au hasard des…

Omaid Sharifi, à la tête d’un collectif d’artistes basé à Kaboul, est assis dans son studio, lisant au hasard des phrases dans un paquet de lettres manuscrites.

Dans l’une d’elles, une simple phrase en dari, écrite en lettres capitales, clame simplement: « Nous voulons la paix ».

« Pour eux la paix veut juste dire un cessez-le-feu, l’arrêt de cette violence insensée », explique Omaid Sharifi.

Ces missives sont le fruit d’une initiative d’ArtLords, une ONG co-fondée et gérée par M. Sharifi, avec pour objet de donner une voix aux jeunes Afghans qui se sentent ignorés et impuissants alors que le conflit dans leur pays fait rage.

ArtLords met à profit la tradition bien afghane des « lettres de douleur », dans lesquelles les membres de cette société ultra-conservatrice trouvent un exutoire manuscrit aux passions et émotions qu’ils ne peuvent partager ouvertement.

A cet effet M. Sharifi et son équipe ont installé six grandes boîtes aux lettres, peintes de blanc et décorées de cœurs, dans des collèges, universités et cafés de la capitale en invitant les passants à y déposer leurs histoires.

« Quand vous voulez partager vos pensées les plus intimes, vous écrivez des lettres », explique Sharifi.

« C’est pourquoi nous avons demandé aux jeunes d’y raconter leurs peurs, les solutions qu’ils proposent, leurs espoirs ».

Son projet a recueilli plus de 300 lettres dans les deux premières semaines.

Il se met à en lire une, adressée au gouvernement à Kaboul: « Nous demandons votre attention, parce que chaque jour nous mourons de la peur des explosions, de la peur de mourir chaque jour, dans sa voiture, au bureau, à l’université… ».

« Nous ne sommes en sécurité nulle part », écrit l’auteur.

– En colère et ignorés –

Le projet a été lancé il y a quelques semaines seulement, au moment même où les pourparlers entre les Etats-Unis et le mouvement des talibans sont visiblement entrés dans leur dernière phase.

Les deux parties espèrent arriver à un accord de retrait partiel des soldats américains du pays d’ici le début de l’année prochaine, en échange d’une série de garanties sur la sécurité dans le pays.

Mais ces négociations, menées au Qatar, se tiennent sans aucune participation du gouvernement. De nombreux Afghans, particulièrement parmi la jeunesse éduquée des centres urbains, en éprouvent une grande amertume.

Les Etats-Unis ont répété qu’il revient au gouvernement et à la société afghane de conclure in fine avec les talibans un accord de paix préservant notamment les acquis en matière de libertés publiques.

Mais beaucoup d’Afghans redoutent que Washington sacrifie leurs intérêts au profit d’une fin rapide à un conflit meurtrier et ruineux.

L’artiste de 32 ans est très connu à Kaboul mais aussi dans le reste du pays, grâce à la production prolifique d’ArtLords. Le collectif s’est fait une spécialité des grandes fresques peintes à même les murs anti-explosion omniprésents dans la capitale.

Le dernier projet mural d’ArtLords est de peindre une tulipe rouge pour chaque civil afghan tué dans le conflit depuis 2001. Leur nombre est estimé à environ 35.000 morts.

« Chacune de ces tulipes représente l’histoire de quelqu’un », raconte le jeune homme. Bon nombre de ces fleurs seront peintes à l’endroit où un innocent a perdu la vie dans une explosion ou une attaque.

L’artiste espère étendre sa campagne de recueil de lettres au-delà de la capitale. Il affirme que le contenu de toutes les lettres sera transmis au président Ashraf Ghani, au chef du gouvernement Abdullah Abdullah, aux Américains et même aux talibans.

« Je sais que le président a lu toutes les lettres… et qu’il est au courant des attentes de la jeunesse pour ce qui concerne le processus de paix », ajoute-t-il.

Une des boîtes aux lettres a été installée dans un nouveau café branché de Kaboul, où des jeunes citadins sirotent des cafés en lisant des livres.

« Les Afghans ne sont pas très optimistes sur l’issue de ce processus de paix, parce que nous ne savons rien de l’accord en préparation », dit une jeune cliente, en donnant seulement son prénom, Narguis.

« Pour nous l’avenir est incertain ».

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