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Ecrasement du Printemps de Prague: le premier jour vu par l’AFP

A l'aube du lundi 21 août 1968, les Pragois frappés de stupeur découvrent leur capitale occupée par les chars soviétiques.…

A l’aube du lundi 21 août 1968, les Pragois frappés de stupeur découvrent leur capitale occupée par les chars soviétiques.

Retour sur le premier jour de l’invasion de Prague à travers deux reportages de l’envoyé spécial de l’AFP, Jean Leclerc de Sablon, autour de l’immeuble de la radio, l’un des points névralgiques de la capitale symbolisant la liberté d’expression, et de l’emblématique place Venceslas, située à proximité.

La tension autour de Radio-Prague

PRAGUE, 21 août 1968 (AFP) – La tension demeure grande, à 7H30 GMT aux abords de l’immeuble de la radio de Prague, cerné, comme le Comité central et le Palais Hradcany, par des blindés soviétiques.

A cinq ou six reprises, des soldats ont tiré des rafales de mitraillettes vers les murs et les fenêtres de l’immeuble et des maisons avoisinantes, mais ce roulement assourdissant n’a pas encore réussi à disperser les centaines de pragois massés devant le bâtiment, derrière les barrages de camions et de bulldozers. Une barricade a même été édifiée par des jeunes gens.

Seules les rafales d’armes ont pu couvrir la clameur des sifflets, des injures comme « Gestapo », ou des « Vive Dubcek ». Les blindés, après avoir vainement tenté de forcer un barrage, en défonçant une voiture, ont amorcé un mouvement tournant, et les Pragois craignent qu’ils n’investissent totalement « leur radio ».

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Les trottoirs qui bordent l’immeuble de la radio et les maisons voisines sont jonchés de morceaux de plâtre et de ciment. Les caténaires des tramways sont sectionnées par les balles, et trainent par terre. Mais les Pragois sont toujours là, et ne semblent pas avoir peur.

Les rues de la capitale sont très animées. De nombreux groupes discutent à chaque carrefour, personne ne comprend cette intervention – la stupeur est peinte sur tous les visages.

Les passants qui se rassemblent sur l’avenue Venceslas, comme ceux qui font la queue devant les magasins, ou même les cuisiniers des grands hôtels, sur le pas de leur porte, coiffés de leurs hauts chapeaux, gardent un calme impressionnant. Mais sur maints visages, des larmes coulent.

Sur la place Venceslas, les Champs-Elysées de Prague, où l’on s’arrache les éditions spéciales des journaux, distribués gratuitement, plusieurs centaines de personnes sont rassemblées, tandis qu’à 7H45 GMT, de nouveaux coups de feu éclatent, dans une rue voisine, où se trouve l’immeuble de la radio. Personne ne semble avoir l’intention de résister.

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Seuls les jeunes ne semblent pas résignés. Ils sillonnent les artères de la capitale, à bord de camions, agitant des drapeaux bleu, blanc, rouge, injuriant chaque convoi de blindés étrangers.

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D’autres jeunes, arborant des badges « Faites l’amour, pas la guerre » « Liberté » s’agglutinent autour des chars et des half tracks soviétiques, dont les équipages ont le visage noir de poussière et de sueur. Quelques passants offrent aux militaires des cigarettes, afin de les faire parler, mais ceux-ci gardent le plus grand mutisme.

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Les manifestations à Prague

PRAGUE, 21 août (AFP) – Cinq jeunes Pragois et Pragoises en larmes, levant vers la foule un drapeau tchécoslovaque taché de sang: c’est de cette façon tragique que se sont achevés les incidents qui ont éclaté peu après 10 heures GMT devant l’immeuble de la radio de Prague, au cours desquels deux personnes ont été blessées.

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De nombreuses autres personnes ont été blessées dans le haut de l’avenue Venceslas, où les passants se cachaient derrière tout ce qu’ils trouvaient pour se protéger des balles ou des débris tombant des bâtiments.

Couchés sur le trottoir, certains râlaient, les chars ne cessent d’aller et venir, sous les sifflets et les injures d’une foule qui se regroupe sur la grande avenue du centre de Prague dès que la colonne est passée.

Les jeunes sont de loin les plus nombreux et ne semblent nullement découragés.

Quelques minutes avant ces incidents, la foule sur la place Venceslas, s’était immobilisée autour d’un char soviétique submergé par une grappe de jeunes gens.

Pendant quelques instants, le plus grand calme avait régné, déchiré par les accents de l’hymne national tchécoslovaque. Un vieux Pragois bouleversé n’a pu que bredouiller devant moi ces mots « occupace, occupace ».

(…) Pendant ce temps, trois têtes ressemblant plus à des petits ramoneurs qu’à des soldats d’occupation émergeaient du char isolé au milieu de la foule. Des visages presque enfantins blonds, noirs de poussière, des petits hommes vêtus de combinaisons anthracite, éberlués de débarquer en plein coeur de la vieille Prague, ne sachant que répondre aux injures des jeunes qui les assaillaient, expliquent qu’on les a appelés en raison d’un « danger fasciste ».

Sur leurs véhicules, les jeunes ont dessiné à la craie des croix gammées. Des adultes essaient de retenir les excès.

Mais déjà les jeunes, drapeau en avant, courent vers les chars en flammes immobilisés devant la maison de la radio.

Les premiers coups de feu après ceux du matin éclatent.

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