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Elections en RDC: « l’homme malade » de l’Afrique ausculté par des experts congolais

Rôle de l'armée, politique-business, "vagabondage politique", appel au vote ethnique: la République démocratique du Congo souffre d'un système politique qui…

Rôle de l’armée, politique-business, « vagabondage politique », appel au vote ethnique: la République démocratique du Congo souffre d’un système politique qui plombe son développement, diagnostiquent des universitaires congolais, une grille de lecture sans faux-semblant des enjeux électoraux du 23 décembre.

Plus vaste pays d’Afrique avec l’Algérie, la RDC reste « le grand malade » au cœur du continent, regrette le docteur en économie Justin Kankwenda Mbaya en présentation de l’ouvrage collectif « Le degré zéro de la dynamique politique en RDC, 1960-2018 ».

Ce livre de 692 pages, signée par 17 universitaires congolais (anthropologue, politologues, historiens, économistes, philosophes et sociologues), a été présenté juste avant les élections présidentielle, législatives et provinciales prévues le 23 décembre.

La présidentielle doit désigner le successeur du président Joseph Kabila, qui a renoncé à briguer un troisième mandat interdit par la Constitution. Une possible « première transition pacifique du pouvoir » en RDC, espèrent des diplomates dans les communiqués officiels.

Des élections, il est très peu question dans cet ouvrage sinon pour rappeler que les scrutins « n’ont jamais reflété le jeu franc de participation, de transparence, de choix libre et de vrai vote populaire ».

« A l’exception des cinq premières années de l’indépendance, la RDC a été dirigée par deux régimes politiques d’origine militaire: les régimes de Mobutu (32 ans) et des Kabila (21 ans) », rappelle le directeur de l’ouvrage Justin Kankwenda Mbaya.

« Ils se sont appuyés principalement sur leur pouvoir militaire d’origine et non sur l’adhésion politique sincère des forces socio-politiques et du peuple dans son ensemble », poursuit-il.

Joseph Kabila a pris le pouvoir, donc le contrôle du pays par les armes, ce n’est pas par les négociations et encore moins par les prières » qu’il va le lâcher, ajoute l’auteur, qui file la métaphore: « Pour ravir un os des dents d’un chien, il arracher la mâchoire, dit-on ».

Au pays de Patrice Lumumba, une des icônes africaines du XXe siècle, le jeu politique est gangréné par l’affairisme au détriment de l’intérêt général, poursuit le directeur de l’ouvrage.

« La politique est devenue au Congo un secteur d’affaire pour s’enrichir. Faire de la politique est perçue et vécue par les politiciens congolais au même titre qu’investir ou faire des affaires », développe-t-il.

– Allégeance personnelle –

M. Kankwebda Mbaya ne cache pas sa « frustration » et sa « déception » à l’égard des responsables politiques congolais: « On devient ainsi opposant parce qu’on a été éjecté de la mangeoire » qu’offre selon lui la fréquentation du pouvoir.

« C’est en particulier au niveau de l’exploitation des ressources naturelles et surtout des ressources minières et forestières qu’il existe des rouages encore plus juteux pour la classe politique », écrit dans une autre contribution un économiste, François Kabuya Kalala.

« Ce secteur ne joue donc pas le rôle de financement du développement du pays comme on devait l’attendre et comme on le voit dans d’autres pays », ajoute-t-il.

Conséquence du « politique-business »: la floraison des partis au nombre de près de 600 aujourd’hui.

« L’adhésion ne se fait pas sur base d’idéologie et de programme politique, mais principalement sur base d’allégeance personnelle au chef fondateur », relève le livre.

Dans la conquête du pouvoir, « une des stratégies souvent utilisées concerne l’appui sur le groupe ethnique auquel appartient ou dont est issu l’homme politique », note le professeur d’histoire Obotela Rashidi.

« Avec plus de 250 groupes ethniques, serait-il possible de satisfaire toutes les ambitions émanant des différentes +bases+? », s’interroge-t-il. Il relève aussi que dans la société congolaise, l’ethnicité est moins forte, avec de nombreux mariages mixtes.

Sévères envers le régime et le système politiques, les auteurs rejoignent le pouvoir en place à Kinshasa sur un point: la critique de la communauté internationale et des Nations unies, présentes en RDC depuis près de 20 ans.

« Ce dont le Congo a besoin, c’est la restructuration de l’Etat, une tâche qui revient aux filles et aux fils de ce pays, et non à la communauté internationale, quelles que soient ces bonnes intentions », écrit dans sa conclusion Georges Nzongola-Ntalaja, « professeur émérite des études africaines devenu fonctionnaire international des Nations unies ».

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