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En Afrique du Sud, les affaires de corruption embarrassent encore le pouvoir

Le grand déballage des affaires de corruption qui ont fleuri sous le règne de l'ex-président Jacob Zuma a pris un…

Le grand déballage des affaires de corruption qui ont fleuri sous le règne de l’ex-président Jacob Zuma a pris un nouveau tour en Afrique du Sud avec les révélations en cascade d’un ex-patron qui n’en finissent pas d’éclabousser le parti au pouvoir à la veille des élections.

Lorsqu’il s’est présenté devant la commission d’enquête qui se penche sur les scandales de l’ère Zuma (2009-2018), personne ne s’attendait à ce qu’Angelo Agrizzi en devienne le procureur-vedette.

Et pourtant. Onctueux et replet, l’ex-numéro 2 de la société de sécurité Bosasa a entrepris de vider un à un les placards nauséabonds du parti du Congrès national africain (ANC), chronique dévastatrice de la corruption d’Etat au quotidien.

Depuis une semaine, il raconte par le menu comment Bosasa, rebaptisée African Global Operations, s’est frauduleusement acheté de juteux contrats publics et la protection du pouvoir.

Ministres, députés, hauts fonctionnaires, les cadavres pleuvent en direct, devant les caméras ravies des chaînes d’information.

L’actuelle ministre de l’Environnement Nomvula Mokonyane est pour l’heure la victime la plus en vue de ce jeu de massacre. Angelo Agrizzi a affirmé lui avoir fait remettre chaque semaine pendant quatorze ans 50.000 rands (3.200 euros) en liquide.

« Nous savions qu’elle était proche de l’ex-président Zuma », a-t-il expliqué, et « qu’au moindre problème, nous pouvions aller la voir et que nos affaires seraient réglées ».

La ministre a réagi par la voix de ses avocats en jugeant « injuste » de ne pas avoir pu s’exprimer devant la commission. Mais elle s’est gardée de démentir son accusateur…

En bon comptable, Angelo Agrizzi a calculé que Bosasa avait déboursé chaque mois de 4 à 6 millions de rands (250.000 à 380.000 d’euros) en pots-de-vin et cadeaux divers à des élus et hauts fonctionnaires, tous encartés à l’ANC.

– ‘Même le pape’ –

« Environ 80 personnes recevaient régulièrement des paiements illégaux, malheureusement oui », a-t-il confessé au juge Raymond Zondo, le président de la commission qui entend depuis août ministres, députés, fonctionnaires ou encore banquiers.

Et lorsque l’entreprise Bosasa s’est retrouvée dans le collimateur de la police et de la justice, elle n’a pas hésité à graisser la patte de certains de leurs chefs pour s’informer du contenu de leurs enquêtes et déjouer leurs perquisitions.

Dans ce système, « même le pape aurait été corrompu », a résumé Angelo Agrizzi.

Son long témoignage, soutenu par de nombreuses preuves, a suscité un choc dans un pays pourtant habitué depuis l’ère Zuma aux scandales les plus extravagants.

« Je ne suis pas surpris que Bosasa soit impliqué là-dedans », confie David Lewis, directeur de l’ONG Corruption Watch. « Ce qui me déprime vraiment, c’est de constater à quel point tant de Sud-Africains ordinaires n’hésitent pas à violer aussi ouvertement la loi. »

En campagne pour les élections générales de mai, l’opposition s’est ruée sur les révélations d’Angelo Agrizzi.

« Notre pays a été dépouillé. Non par un individu mais par un parti », a tonné le chef de l’Alliance démocratique (DA), Mmusi Maimane, « il faut se débarrasser de ce syndicat du crime ».

« Nous sommes ravis que le témoignage d’Agrizzi confonde les chefs de la +Corruption nationale africaine+ », a vociféré son homologue des Combattants pour la liberté économique (EFF), Julius Malema, en paraphrasant le sigle de l’ANC.

Sali, le parti de l’icône Nelson Mandela a réagi avec embarras. Ces témoignages « ne sont pas vérité d’évangile », a avancé son secrétaire général Ace Magashule.

– ‘Rédemption’ –

Le président du pays et de l’ANC Cyril Ramaphosa, qui a promis de tordre le cou à la corruption, a lui-même été égratigné pour une contribution électorale reçue de Bosasa.

Mais il a fait mine d’accueillir les confessions d’Angelo Agrizzi comme une bonne nouvelle.

« La commission Zondo est un moment de vérité pour nous Sud-Africains, elle doit aussi être un moment de rédemption de façon à corriger les erreurs du passé », a-t-il dit, invitant le pays à la « patience » dans le combat contre la corruption.

Mais le temps presse, jugent certains, qui l’exhortent à couper les branches pourries avant le scrutin de mai.

« Je ne vois pas comment il peut encore garder la ministre Nomvula Mokonyane dans son gouvernement », note David Lewis, « je comprends qu’il veuille maintenir l’unité du parti (…) mais ça jette une ombre sur lui ».

L’analyste Ralph Mathekga en convient, mais prédit que les scandales ne priveront pas l’ANC de sa majorité absolue au Parlement, ni M. Ramaphosa de son mandat de président.

« C’est vrai que les chefs de l’ANC sont gravement humiliés » devant la commission, note-t-il, « mais l’opposition n’en profitera pas parce que jusque-là les mécontents ont toujours préféré ne pas voter ».

Le témoignage-fleuve d’Angelo Agrizzi doit reprendre lundi.

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