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En Irak, les poids lourds de la politique mis hors jeu

Le choix de Barham Saleh comme président et d'Adel Abdel Mahdi comme futur Premier ministre en Irak a porté un…

Le choix de Barham Saleh comme président et d’Adel Abdel Mahdi comme futur Premier ministre en Irak a porté un rude coup aux poids lourds traditionnels de la politique à Bagdad et au Kurdistan, écartés au profit de figures consensuelles et transpartisanes.

Mardi soir, le Parlement a élu à la tête de l’Etat le Kurde Barham Saleh, qui a aussitôt chargé Adel Abdel Mahdi –un indépendant présenté comme adoubé à la fois par l’Iran et les Etats-Unis– de lui présenter sous un mois une liste de ministres.

Pour la première fois depuis les premières élections multipartites de 2005 en Irak, ce n’est pas un cadre du parti Daawa, l’opposition chiite historique à Saddam Hussein, qui a été chargé de former le futur cabinet.

Ce vote, qui a eu lieu tard mardi, a aussi marqué l’échec cuisant du plus grand parti kurde, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de l’ex-président du Kurdistan irakien Massoud Barzani, qui avait tenté d’imposer la sécession de la région autonome il y a un an.

A son candidat Fouad Hussein, le Parlement a préféré Barham Saleh, de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) rivale. Une bataille inédite pour un poste réservé aux Kurdes, qui s’est finie par un K.O.: 219 voix pour Barham Saleh, contre 22 pour son adversaire.

– Monopole sur l’administration –

« La nuit de la chute des deux partis » PDK et Daawa, résumait, lapidaire, un commentateur politique irakien mercredi.

« C’est un échec sans précédent pour Daawa qui, depuis 2003, avait implanté ses cadres dans les institutions jusqu’à en prendre le monopole », renchérit Adel Bakawan, chercheur associé à l’École des Hautes Études en Sciences sociales de Paris (EHESS).

En perdant la direction du gouvernement, le parti fondé dans les années 1960 n’a pas seulement essuyé un revers symbolique, il s’expose également à des pertes financières dans le 12ème pays le plus corrompu au monde, tandis que ses cadres pourraient faire les frais de futures purges dans les administrations.

Jusqu’au coup de théâtre de mardi soir –jamais un président n’avait jusqu’alors nommé un chef de gouvernement en moins de deux heures, qui plus est alors qu’aucune coalition claire n’émergeait du Parlement–, de nombreux experts prédisaient un « scénario Abadi », du nom du Premier ministre remplacé.

Haider al-Abadi était arrivé en 2014 aux commandes du pays, « alors qu’il n’était même pas candidat », rappelle M. Bakawan. Il était perçu comme un apparatchik de Daawa, inconnu du public, « le candidat le plus faible qui a créé le consensus des forts pensant tous pouvoir le manipuler ».

Mais cette fois-ci, malgré les nombreux noms présentés par Daawa, le parti n’est pas parvenu à placer l’un de ses hommes, qu’ils soient issus du parti, de l’Etat ou des services de sécurité.

De son côté, Massoud Barzani, qui présentait pour la première fois un candidat à la présidence de l’Irak, a oublié « un élément déterminant », selon le sociologue Adel Bakawan.

« Dans la mémoire collective de l’Irak arabe chiite, il n’est pas perçu comme un acteur politique majeur mais comme le traître qui voulait diviser l’Irak », assure-t-il. Même si les chefs de liste chiites l’avaient assuré des votes de leurs députés, ces derniers n’ont pas suivis leurs consignes.

– « Technocrates sans base » –

Le choix de MM. Saleh et Abdel Mahdi, personnalités consensuelles qui passent pour rassembler en Irak et au-delà, ressemble fortement à ce pour quoi plaidait le grand vainqueur des législatives, le turbulent et versatile Moqtada Sadr. Depuis des mois, ce leader chiite réclame un gouvernement de « technocrates apartisans ».

Des « technocrates » qu’appelle aussi de ses voeux le grand ayatollah Ali Sistani, le chef spirituel de la majorité des chiites d’Irak qui passe pour avoir le dernier mot en politique.

MM. Saleh et Abdel Mahdi sont bien des technocrates, mais il leur manque des atouts de taille pour diriger réellement les institutions: ils n’ont « ni le soutien d’un parti politique solide, ni une base sociale » et ils n’ont aucune forcée armée qui leur est loyale, pointe M. Bakawan.

Ils devront donc tenter de rassembler un maximum de forces autour d’eux, au sein d’une coalition gouvernementale où chacun réclamera sa part, notamment sous forme de portefeuilles ministériels. Selon les experts, le nombre de ministres pourrait doubler pour cette raison.

Mais plus largement, estime le spécialiste de l’Irak Fanar Haddad, la nouvelle donne imposée au PDK et à Daawa « rompt de façon positive avec les anciennes pratiques ».

Jusqu’ici, explique ce chercheur de l’Université de Singapour, la politique irakienne se réduisait à un jeu à somme nulle, où les grands partis se partageaient gains et pertes, sans laisser exister d’autres forces.

« Ces développements soulignent un peu plus le fait que l’Irak s’éloigne de cette politique qui l’a caractérisé depuis 2003 », juge-t-il.

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