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En Irak, les tweets contradictoires d’un leader chiite divisent ses partisans

Arborant des casquettes bleues, ils paradent dans le camp des manifestants antipouvoir à Bagdad: les plus fervents partisans du versatile…

Arborant des casquettes bleues, ils paradent dans le camp des manifestants antipouvoir à Bagdad: les plus fervents partisans du versatile leader chiite Moqtada Sadr sont de retour place Tahrir, épicentre de la contestation, et veulent le faire savoir.

Moqtada Sadr, ancien chef de milice ayant combattu dans les années 2000 les troupes américaines avec son Armée du Mehdi, suscite une forte adhésion au sein de certaines franges de la population irakienne.

Rarement vu en public, l’homme de 46 ans a toutefois ajouté au sentiment de chaos dans le pays après des mois de manifestations antigouvernementales, avec une série de directives souvent contradictoires, données à ses partisans à coups de tweets.

En octobre, un tweet a d’abord envoyé des milliers de sadristes dans les rues soutenir les manifestants, qui réclament le renouvellement complet de la classe politique, jugée corrompue et défaillante.

Mais, fin janvier, Moqtada Sadr a soudainement appelé ses partisans à démonter leurs tentes, avant de changer une nouvelle fois d’avis la semaine dernière, en encourageant ses partisans à « relancer la révolution réformiste pacifique ».

Dans sa dernière volte-face samedi, le leader chiite a cette fois apporté son soutien au Premier ministre Mohammed Allawi, tout juste nommé par le président mais aussitôt rejeté par la jeunesse dans la rue, divisant un peu plus le mouvement.

Des sadristes ont délogé ce week-end des manifestants du « restaurant turc », immeuble abandonné devenu symbole du soulèvement, et ont décroché les portraits des jeunes manifestants tués ainsi que les bannières listant les revendications.

Les tweets contradictoires de Moqtada Sadr ont divisé sa base de plusieurs millions de partisans reconnaissent certains sadristes.

– « Quoi qu’il dise » –

Le week-end dernier, on pouvait voir le visage rond et enturbanné de Moqtada Sadr sur des posters collés sur les touk-touks qui sillonnent Tahrir mais aussi dans des cadres dorés portés par des manifestants.

« Si notre seigneur, notre commandant Sadr nous disait de marcher sur du feu, nous le ferions », assure Nabil.

Ce partisan relativement âgé dit avoir remballé sa tente quand son leader a annoncé ne plus soutenir les manifestations mais être revenu samedi, pour suivre sa nouvelle directive.

Interrogé sur ces changements de cap, Nabil affirme ne pas être perturbé.

Nadia Abbas, une femme de 45 ans de Sadr City, fief ultrapeuplé et ultrapopulaire du leader dans l’est de Bagdad, dit aussi ne « pas voir de contradiction ».

« Quoi qu’il dise, nous le faisons », résume-t-elle, entourée de femmes voilées qui acquiescent.

Mais les partisans les plus jeunes sont moins catégoriques.

Nombre d’entre eux ont défié les ordres du leader le mois dernier et sont restés sur la place Tahrir, regardant avec incompréhension leurs voisins s’en aller.

« Depuis que je suis ici, au début de la révolution, j’ai vu beaucoup de choses, des gens mourir, tomber dans la rue et être relevés par d’autres, les ambulances, le sang », raconte Hamza, 26 ans.

« Nous sommes habitués à tout cela, mais ce qui m’a le plus blessé, c’est de voir ces tentes retirées. J’avais l’impression d’être d’un pays et eux d’un autre », poursuit-il.

Hussein, 24 ans, a aussi du mal à cacher son embarras. « C’est le commandant », et « sa déclaration n’était pas un appel direct à se retirer », juge le jeune homme.

Que ferait-il si Moqtada Sadr lançait un appel clair à abandonner les manifestations?

« Je ne partirai en aucun cas », clame-t-il après une pause. « De toute façon il ne le ferait jamais ».

Ali, 29 ans, est également venu de Sadr City, passant les quatre derniers mois sous une tente sur la place Tahrir. Il avance qu’il ne pourrait pas suivre aveuglément les tweets de Moqtada Sadr.

« Le mouvement sadriste dispose d’une importante base populaire, huit millions de personnes, ce n’est pas rien », dit-il, avançant un chiffre sûrement au-dessus de la réalité. « Ils sont de tout coeur avec les manifestations, mais aimer et obéir sont deux choses différentes », tempère-t-il.

– « Schisme grandissant » –

Le mouvement sadriste a été fondé notamment par le père de Moqtada Sadr et est l’un des premiers mouvements religieux chiites à avoir adopté un discours populiste et révolutionnaire sous le régime de Saddam Hussein (1979-2003).

Il s’est divisé à plusieurs reprises et la plupart des puissantes factions armées irakiennes sont nées en son sein, y compris celles qui s’opposent aujourd’hui clairement aux manifestations.

« Le danger d’un nouveau schisme est toujours là », affirme à l’AFP une source du mouvement qui préfère rester anonyme.

A propos des directives de Moqtada Sadr, elle répond: « en fin de compte, c’est un mouvement religieux et non démocratique ».

Renad Mansour, spécialiste de l’Irak au centre de réflexion Chatham House, explique que Moqtada Sadr a du mal à concilier son discours populiste à ses intérêts grandissants sur la scène politique, où il contrôle le plus grand bloc parlementaire et des postes ministériels clés.

« La victoire aux législatives (de 2018) l’ont placé dans l’élite et il essaie de concilier trop de choses », prévient-il.

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