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En mer Noire, un navire français joue au chat et la souris avec les Russes

"Alerte menace air sur tribord": à l'horizon, un avion de surveillance russe s'approche à basse altitude du petit navire de…

« Alerte menace air sur tribord »: à l’horizon, un avion de surveillance russe s’approche à basse altitude du petit navire de guerre français Commandant Birot au large du détroit de Kertch, en mer Noire, théâtre de compétition entre la Russie et l’Otan.

« Il est radial, il arrive droit sur nous », lance l’enseigne de vaisseau Hugo, les mains en visière pour se protéger du soleil voilé de cette fin novembre.

Le gros avion ventru, un hydravion Beriev BE12, passe, repasse, s’approche à quelques centaines de mètres du bâtiment. Sur la passerelle supérieure, des marins accourent, équipés d’appareils à téléobjectifs pour le photographier. Depuis la carlingue, un militaire russe fait probablement de même.

L’aviso Commandant Birot « patrouille en mer Noire et regarde ce qu’il s’y passe » explique le capitaine de corvette Maxime Leroy, commandant du bâtiment sur lequel l’AFP a pu embarquer la semaine dernière, entre les escales de Batoumi (Géorgie) et Odessa (Ukraine), quelques jours avant le sommet de l’Otan mardi et mercredi près de Londres.

La France affirme vouloir défendre la liberté de navigation dans ces eaux internationales où la Russie est omniprésente.

La mer Noire, dont les seules échappatoires sont le Bosphore à l’Ouest, tenu par les Turcs, et le détroit de Kertch au Nord, tenu de facto par les Russes, est un carrefour géopolitique où s’entrecroisent l’influence russe et celle de l’Otan, sur fond de rapprochement Ankara-Moscou et de tensions russo-ukrainiennes autour de la Crimée.

– Russes « très à l’aise » –

Pour la Russie, « la mer Noire a vocation à être un bastion maritime », explique Igor Delanoë, directeur adjoint de l’observatoire franco-russe à Moscou. C’est un « espace de compétition politique » entre Moscou et l’Otan, fait-il valoir: sur les six pays riverains, trois sont membres de l’Alliance (Turquie, Roumanie, Bulgarie), et deux autres veulent le devenir (Ukraine et Géorgie).

Mais « la Russie a clairement repris la main » dans la région, particulièrement depuis l’annexion de la Crimée en 2014, souligne l’expert.

Cette péninsule « est devenue un porte-avions d’où les Russes peuvent rayonner dans toute la zone », analyse une source diplomatique régionale, en référence à la militarisation des environs de Sébastopol (que les Russes possèdent depuis le 18e siècle): batteries côtières, système de missiles anti-navires, avions…

« Les Russes sont très à l’aise en mer Noire », abonde M. Delanoë, ce d’autant que le Bosphore est la porte de sortie vers le reste du monde, notamment le théâtre syrien.

Quelques heures après le passage du Beriev, un Soukhoï Su-33, avion de chasse et de lutte anti-navire, vient tourner autour du Commandant Birot et ses 95 hommes, haut dans le ciel.

« Un de ses radars a été intercepté par le centre opérationnel », une salle bourrée de matériel de détection dans les entrailles du patrouilleur, observe le second maître Jérémy. C’est l’un des objectifs de la mission: appâter les Russes pour collecter le maximum d’informations sur leurs équipements, leur immatriculation, leur signature radar.

« Un jeu du chat et la souris », sourit le pacha. Avant l’escale de Batoumi, les Russes étaient déjà venus deux fois, avec un Su-24 et un Su-30M.

Tous les paramètres récupérés sont envoyés à Paris vers une base de données en vue d’analyser les réactions russes. « On constate des comportements plus agressifs. Il y a une volonté de montrer les muscles », note un amiral français sous couvert d’anonymat.

« Dès qu’il y a un navire Otan, ils sont là pour surveiller par tous les moyens », assure la source diplomatique.

– Manoeuvres Otan –

En plus de « collecter du +rens+ » (renseignement), comme le dit le second du navire, le lieutenant de vaisseau Gauthier, le Birot est un outil de diplomatie militaire. « La présence régulière d’un bâtiment de la Marine nationale sur ce théâtre permet d’entretenir en mer Noire des relations étroites et régulières avec les marines alliées », selon le ministère. Comprendre: celles de l’Otan et des pays qui aspirent à intégrer l’Alliance. De quoi agacer Moscou.

A Batoumi, le Birot, un des doyens de la flotte française, a reçu la visite de la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili et manoeuvré avec un bâtiment des garde-côtes. « Ils ont une vraie volonté de se mettre au standard Otan et c’est réussi », explique le capitaine Leroy.

Des exercices similaires étaient prévus avec la marine ukrainienne après l’escale à Odessa, et roumaine à celle de Constanza.

– Hélicoptère turc –

Outre la rivalité Otan-Russie et le conflit Russie-Ukraine, la région est aussi marquée par le rapprochement entre la Russie et la Turquie, pourtant membre de l’Otan.

« Le rapprochement s’est considérablement accéléré » depuis 2016, relève M. Delanoë, rappelant qu’Ankara et Moscou collaborent sur certains dossiers stratégiques, comme la guerre en Syrie, même s’ils restent concurrents dans d’autres, comme en Libye. Sans compter leurs relations économiques étroites.

Pour l’aviso Birot, « au point de vue opérationnel, tout se passe bien » avec les Turcs, assure le pacha. Ce glissement turc vers la Russie n’est pas perceptible, pas plus que les tensions diplomatiques entre Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan.

Selon l’Elysée, la Turquie refuse « une intervention de l’Otan en mer Noire » sur la crise ukrainienne.

« Gel de l’exercice! » Les visages des marins présents sur la passerelle supérieure qui s’entraînaient au tir à la mitrailleuse et au canon de 20mm se tournent vers le ciel où se détache la silhouette floue d’un hélicoptère en approche.

« Présumé turc », lâche le second maître Pierre en faisant défiler les photos sur l’écran de son boîtier. Confirmation par le centre opérationnel du bateau: l’appareil a décollé d’une frégate pour venir renifler le bâtiment français. Et montrer aussi qu’ils sont bien là en mer Noire.

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