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Etats-Unis: de la cuisine électorale au menu de la Cour suprême

La Cour suprême des Etats-Unis se penche mardi sur un dysfonctionnement majeur et ancien de la démocratie américaine: l'art subtil…

La Cour suprême des Etats-Unis se penche mardi sur un dysfonctionnement majeur et ancien de la démocratie américaine: l’art subtil du découpage électoral destiné à favoriser le parti au pouvoir.

Le temple du droit américain examine les décisions de deux tribunaux fédéraux qui ont invalidé des cartes électorales, l’une en Caroline du Nord jugée trop favorable aux républicains, l’autre dans le Maryland qui avantageait les démocrates.

Aux Etats-Unis, les cartes électorales sont redessinées dans chaque Etat après chaque recensement, soit tous les dix ans. Le parti au pouvoir en profite souvent pour regrouper les électeurs du camp opposé dans certaines circonscriptions, afin de faire baisser leur influence ailleurs.

La technique est appelée « gerrymandering », un mot-valise bâti à partir du nom d’un gouverneur du XIXe siècle, Elbridge Gerry, et de « salamander ». C’est en forme de salamandre que Gerry avait en effet remanié une circonscription du Massachusetts.

La pratique est facilitée par le fait que, dans la plupart des Etats, les électeurs sont invités à se déclarer comme « démocrate », « républicain » ou « indépendant » lors de l’inscription sur les listes électorales, ce qui leur permet ensuite de participer aux primaires de leur parti.

Or, même si elle est très critiquée et de plus en plus souvent contestée en justice, la Cour suprême ne l’a jamais déclarée contraire à la Constitution.

En 2004, une courte majorité de ses membres avait estimé qu’en l’absence de critères clairs pour déterminer les abus, il valait mieux laisser les tribunaux en dehors de ces affaires politiques. La Cour avait encore botté en touche en juin 2018 pour des raisons procédurales après des plaintes émanant d’électeurs du Wisconsin et du Maryland.

Depuis, le juge Anthony Kennedy, qui semblait disposé à mieux encadrer le gerrymandering, a été remplacé par le magistrat conservateur Brett Kavanaugh, nommé par Donald Trump, et sa position est très attendue.

– « Les digues » –

Dans le cas de la Caroline du Nord, c’est une carte dessinée en 2016 qui pose problème.

Selon les documents versés à la procédure, ses auteurs ont reconnu que leur objectif était de « garder dix sièges républicains et trois démocrates » au Congrès. L’un d’eux avait même plaisanté sur le ratio: « Je ne crois pas possible de dessiner une carte avec onze républicains et deux démocrates ».

Lors des élections législatives de novembre 2018, leur objectif s’est concrétisé, « bien que les démocrates aient gagné la majorité des voix dans l’Etat », souligne l’un des plaignants. « La vague démocrate a échoué à briser les digues gerrymander », a écrit la Ligue des électrices de Caroline du Nord dans ses arguments.

Les défenseurs de la carte ont jugé que la Cour suprême avait raison de se tenir en dehors du « maquis politique ». « Les tribunaux n’ont pas à rendre des jugements de valeur sur le moment auquel il y a trop de politique dans un processus qui ne sera jamais apolitique », plaident-ils.

Dans le Maryland, une seule circonscription est au coeur du litige. Située en zone rurale et aux mains du même républicain depuis vingt ans, elle avait été redessinée en 2012 pour inclure des populations plus urbaines. Et elle avait basculé dans le camp démocrate deux ans plus tard.

– Maths en renfort –

Un grand nombre de responsables politiques, universitaires ou associatifs ont écrit à la Cour suprême pour apporter leur expertise dans cette affaire, qui suscite un fort intérêt.

Quarante élus à la Chambre des représentants, autant de républicains que de démocrates, lui ont demandé de fixer « des limites constitutionnelles de base faciles à appliquer, pour que le Congrès serve mieux le peuple ».

L’ancien gouverneur républicain de Californie Arnold Schwarzenegger a souligné que le gerrymandering « renforçait les extrêmes ». Pour l’ancien acteur, les candidats dans ces circonscriptions sont quasi certains de remporter les élections et n’ont donc qu’à gagner les primaires de leur parti.

Plus rare: des chercheurs en mathématiques se sont alliés à des professeurs de droit pour rappeler à la Cour l’existence « de méthodes informatiques fiables » pour déterminer si un découpage électoral fausse le résultat des scrutins.

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