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Frontière Niger/Nigeria: une passoire dont se joue la contrebande

"Ils perdent leur temps en fermant la frontière!", lance près de Maradi, dans le sud du Niger, un contrebandier à…

« Ils perdent leur temps en fermant la frontière! », lance près de Maradi, dans le sud du Niger, un contrebandier à moto, zigzaguant sur une piste inondée par les pluies et transportant de la canne à sucre en provenance du Nigeria.

« J’ai à mon compteur cinq ans d’expérience de +Sarandi+ (contrebande), cette frontière, nous la franchirons quand nous voulons, où nous voulons », assure-t-il.

Pour lutter contre la contrebande qui coûte cher à son budget, le Nigeria a décidé en août de façon unilatérale et brutale de fermer sa frontière de plus de 1.500 kilomètres avec le Niger, un des Etats les plus pauvres au monde, de même qu’avec ses autres voisins, dont le Bénin, qui importait de nombreux biens de l’étranger pour les réexporter de manière frauduleuse vers le Nigeria.

Mais la multitude des pistes qui serpentent les 150 km de frontière entre Maradi et le Nigeria sont de véritables passoires.

« Les pistes (menant au Nigeria) n’ont plus de secrets pour nous et nous n’avons peur de rien! », se targuent Aminou, Issa et Moussa, trois habitants de Maradi, la grande ville du centre-sud nigérien sérieusement affectée par la fermeture.

Après une dernière vérification des roues, les trois compagnons, âgés d’une vingtaine d’années, enfourchent leur motos chargées de bidons vides et foncent dans les champs de mil: direction le Nigeria d’où ils feront entrer frauduleusement de l’essence et divers produits.

Presque au même moment, trois autres motocyclettes et une fourgonnette chargées de sacs de riz filent dans la direction opposée.

– Groupes armés et violences –

A Maradi, la flambée des prix engendrée par la rareté des produits nigérians a donné un coup d’accélérateur aux activités de contrebande déjà endémiques. Le Niger importe de nombreux produits nigérians qui passent la frontière sans payer de taxes et concurrencent des produits locaux plus chers.

Certains camions bloqués depuis plusieurs semaines à la frontière ont réussi « à acheminer au Nigeria du riz et diverses produits qu’ils transportaient sur des motos ou dans des fourgonnettes », témoigne un percepteur de taxes routières à Dan Issa, dernier poste de contrôle avant la frontière.

Le bétail y entre sans problème au Nigeria. « il suffit juste d’escorter les troupeaux sur quelques km à travers la brousse », indique-t-il.

Des camions nigérians bourrés de marchandises viennent également au Niger et « repartent avec des produits nigériens », constate un agent d’une société de transit. « Les produits du Nigeria sont en train d’envahir nos villes et campagnes et se vendent à vil prix, concurrençant nettement ceux du Niger », s’est inquiété la semaine passée, Chaïbou Tchombiano, secrétaire général du Syndicat des commerçants importateurs, exportateurs, et grossistes du Niger.

La médiatique cessation d’activité en mai de la Braniger, qui fabriquait bières et boissons gazeuses depuis 1967, est en partie due à la concurrence de boissons nigérianes importées frauduleusement.

Un douanier à la retraite et qui a requis l’anonymat a expliqué que « le circuit de cette contrebande est bien rodé jusqu’au Nigeria » et « est contrôlé par de riches commerçants très influents ».

« Les commerçants financent les partis politiques » qui « ferment les yeux sur leurs activités une fois au pouvoir ».

A ce jour, les opérations coups de poing ponctuellement déclenchées par les douaniers sont inefficaces pour l’endiguer le fléau qui fait perdre au Niger plusieurs milliards de FCFA (plusieurs millions d’euros) de recettes fiscales et douanières au Niger, selon les syndicats.

« On ne peut pas imaginer la fin de la contrebande le long de cette frontière: non seulement elle est longue mais cela nécessite d’énormes moyens matériels et sécuritaires », estime Mamanane Nouri, responsable d’une association de consommateurs.

Les violences exercées par des bandes lourdement armées dans les Etats fédérés de Katsina, Sokoto et Zamfara voisins de Maradi compliquent d’avantage le contrôle de cette frontière.

Entre 1er janvier et 31 août 2019, les autorités de Maradi ont répertorié 31 personnes tuées dans 81 attaques de bandits armés tandis que 92 autres personnes ont été enlevées et des milliers de têtes de bétail emportées par les assaillants. Dans le Nord-est du Nigeria, proche de la région nigérienne de Diffa, le groupe jihadiste Boko Haram contrôle des trafics illégaux de tous genres pour percevoir des taxes et renflouer ses caisses.

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