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« Gilets jaunes »: « pas pertinent » de comparer à Mai 68 dit une historienne

La crise des "gilets jaunes" de 2018 est-elle comparable à Mai 68? Pour l'historienne Danielle Tartakowsky, spécialiste de l'histoire politique…

La crise des « gilets jaunes » de 2018 est-elle comparable à Mai 68? Pour l’historienne Danielle Tartakowsky, spécialiste de l’histoire politique française du XXe siècle, cette analogie n’est « pas pertinente », notamment car les violences utilisées dans les deux cas ne sont pas de même nature.

En outre, si le général de Gaulle a pu sortir de la crise il y a 50 ans grâce à sa « légitimité historique », Emmanuel Macron ne dispose pas aujourd’hui de cet avantage, estime l’universitaire.

QUESTION. La même violence est-elle à l’œuvre à 50 ans d’écart ?

REPONSE. Il est vrai que certaines photos montrant des « gilets jaunes » lançant des projectiles sont très similaires, quasiment superposables, à des clichés pris il y a 50 ans.

Cependant, la différence tient à la nature de la violence. En mai 1968, les barricades avaient une fonction défensive: il s’agissait de protéger contre les forces de l’ordre un territoire considéré par les manifestants comme un espace légitime – c’était le cas des étudiants au Quartier latin.

Aujourd’hui, ce qu’on appelle des barricades, ce sont des édifices mis en place au milieu d’une avenue, qu’on peut contourner par la gauche ou par la droite, et auxquels on met le feu! Et puis la grande différence c’est que les barricades sont érigées sur le territoire de l’autre: beaucoup de manifestants viennent des régions et « montent » à Paris, un Paris qu’ils désignent comme celui des pouvoirs et des riches.

Surtout, on assiste aujourd’hui à une violence offensive: beaucoup d’acteurs de ce mouvement se réclament de la violence comme élément stratégique. C’est rarissime dans l’histoire des manifestations françaises, et en tout cas ce n’était pas présent en mai 1968.

Q. Les motivations politiques des manifestants sont-elles comparables?

R. Ce qui caractérisait les acteurs de Mai 68, c’était la conviction que le monde devait changer de base. Mais cela s’inscrivait dans une stratégie politique, avec une articulation très élaborée entre le social et le politique, qu’on ne retrouve pas du tout aujourd’hui.

Dans ce mouvement des « gilets jaunes », on a une dimension de révolte, au sens de l’urgence: ce côté « on n’en peut plus, ici et maintenant ». En cela c’est une rupture avec les formes traditionnelles du mouvement social.

Dans les manifestations et les barrages, on entend un rejet de l’État tel qu’il est. Une volonté de tout changer, mais sans l’État ou hors de l’État, sans poser la question du rapport au politique, car la politique est désignée comme le mal, comme la cible à détruire et non pas à transformer. C’est ce qui donne au mouvement une dimension presque libertaire, quoique dénuée d’idéologie.

Q. Quelle sortie de crise?

R. On a actuellement une conjoncture qui cristallise plusieurs mécontentements (ceux des lycéens, des routiers, des agriculteurs, ndlr), comme en 1968. Et comme à l’époque, il n’y a pas beaucoup de cohérence entre ces mouvements, juste une contemporanéité.

Cependant, en mai 68 on avait des syndicats, et notamment une CGT, très puissants, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui.

Aujourd’hui, la seule arme forte dont dispose le gouvernement, c’est notre Constitution, une digue qui protège le pouvoir exécutif beaucoup plus que dans n’importe quel pays voisin. D’ailleurs, sans cette Constitution, Mai 68 aurait emporté n’importe quel gouvernement.

Cependant, la très grande différence, c’est que De Gaulle disposait d’une légitimité historique qui lui a permis de retourner la situation et de l’emporter (après avoir provoqué des législatives que son parti a gagnées, ndlr). Mais Emmanuel Macron ne dispose pas de cette légitimité historique.

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