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Harcèlement: le juge, l’hôtesse de l’air et le calvaire des Mongoles

Il était le plus haut personnage de la justice mongole. Accusé d'attouchements par une hôtesse de l'air, il a dû…

Il était le plus haut personnage de la justice mongole. Accusé d’attouchements par une hôtesse de l’air, il a dû quitter ses fonctions – un rare épilogue dans un pays où la loi ne réprime pas le harcèlement sexuel.

Odbayar Dorj, président de la Cour suprême de Mongolie, ne s’attendait probablement à être interpellé à son arrivée à l’aéroport de Séoul fin octobre, sur dénonciation d’une hôtesse de l’air sud-coréenne l’accusant de l’avoir agrippée contre sa volonté.

Après plusieurs jours de détention et une amende de 5.500 euros, M. Odbayar a été autorisé à quitter le pays, selon l’agence de presse sud-coréenne Yonhap.

L’affaire n’a guère surpris en Mongolie, où les cas de harcèlement ne sont habituellement pas rendus publics. Tout simplement parce qu’ils n’ont rien d’illégal.

« Si une hôtesse de l’air mongole en est victime, elle ne peut pas porter plainte car il n’y a pas de loi pour la défendre », explique Arvintaria Nordogjav, du Centre national contre la violence. L’affaire du juge n’a éclaté que parce que la victime présumée n’était pas mongole, ajoute-t-elle.

La Cour suprême a bien voté courant novembre pour démettre M. Odbayar de ses fonctions de président, mais il reste l’un des neuf membres de l’institution.

Une partie du personnel politique a d’ailleurs volé à son secours. Le président du Parlement a expliqué que la police avait arrêté le juge « par erreur », à la suite d’une confusion sur le numéro du siège qu’il occupait dans l’avion.

– « Injuste envers les hommes » –

Si le mouvement #MeToo a éclaté en 2017 dans le monde entier à la suite du scandale entourant le producteur hollywoodien Harvey Weinstein, son incidence a été moindre en Asie qu’en Europe ou en Amérique du Nord.

Mais en Mongolie, l’affaire Odbayar a relancé le débat, plusieurs associations demandant au parlement de légiférer à nouveau: un projet de loi contre le harcèlement sexuel a en effet été déposé en 2015. Il a été abandonné deux ans plus tard.

« Le Parlement l’a retiré du code pénal parce qu’il établissait une équivalence entre le viol et le harcèlement, ce qui a été considéré comme injuste envers les hommes », explique la députée Oyunkhorol Dulamsuren.

Une loi existante sur l’égalité sexuelle dispose que toute organisation se doit d’avoir sa propre politique en matière de harcèlement, mais aucune sanction ne frappe celles qui n’en ont pas.

« Nous devons légiférer contre le harcèlement sexuel afin de garantir la sécurité des femmes », estime une responsable politique, Oyundari Navaan-Yunden.

Les affaires de harcèlement sont traitées par la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH). Mais Togookhuu Ikhtamir, qui dirige son service des plaintes, juge le système inadapté.

A titre d’exemple, elle raconte que l’implication de la Commission a entraîné la démission d’un employeur qui avait agressé une de ses salariées. Mais l’homme n’a fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire. L’affaire s’est ébruitée après que la victime eut été frappée par son mari, qui l’a accusée d’avoir une aventure extraconjugale…

– Echappée de justesse –

Le mal semble pourtant fort répandu dans le pays de 3 millions d’habitants, coincé entre Chine et Russie. Pas moins de 63% des femmes ont affirmé avoir déjà été victimes de harcèlement sexuel de la part d’un supérieur hiérarchique, selon une étude effectuée par la CNDH en 2017.

Or, « il n’y a aucune législation qui prévoit des dédommagements pour les victimes », soupire Mme Togookhuu, qui estime que cela dissuade ces dernières de dénoncer leur agresseur.

Malgré l’affaire Odbayar, les militants de la cause des femmes ne sont pas au bout de leurs peines.

Le scandale entourant le président de la Cour suprême a divisé la société. Sur les réseaux sociaux, certains commentateurs ont estimé qu’il aurait mieux fait de s’en prendre à une hôtesse de l’air mongole pour éviter des soucis.

L’affaire a aussi décidé des femmes à faire partager leur calvaire sur les réseaux sociaux.

L’une d’elles a raconté à l’AFP qu’elle avait échappé de peu à un viol il y a 12 ans, après avoir été harcelée par son patron qui lui infligeait des heures supplémentaires tant qu’elle refusait ses avances.

Un soir, l’homme la convoque dans son bureau, baisse son pantalon et se jette sur elle. « Heureusement, une collègue m’a entendue crier, ce qui l’a arrêté », témoigne-t-elle. « Après ça je n’ai plus jamais voulu faire carrière ».

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