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« Ils veulent effacer les crimes staliniens »: fouilles controversées en Carélie

En Russie près de la frontière finlandaise, les fouilles de la discorde: des recherches archéologiques menées par une organisation patriotique…

En Russie près de la frontière finlandaise, les fouilles de la discorde: des recherches archéologiques menées par une organisation patriotique en Carélie suscitent la colère de militants des droits humains, qui dénoncent une tentative « d’effacer les crimes staliniens ».

La Société militaire et historique russe (RVIO), organisation créée par le Kremlin, a lancé fin août des recherches à Sandarmokh, dans le Grand Nord russe, pour retrouver les dépouilles de prisonniers soviétiques morts lors de l’occupation de cette région par les Finlandais, alliés d’Hitler entre 1941 et 1944.

Mais Sandarmokh est surtout tristement célèbre pour avoir été, pendant la répression stalinienne, le lieu d’exécution de milliers de personnes: entre 7.000 et 9.000 selon les estimations.

« La recherche de restes de soldats de la Seconde Guerre mondiale sur des lieux d’exécutions de masse du NKVD [la police politique stalinienne] dans les années 1930 ressemblent à une tentative de manipuler la mémoire, en cachant des victimes de la terreur derrière d’autres victimes », a réagi sur son site internet l’ONG de défense des droits humains Mémorial.

Selon Mémorial, l’hypothèse d’exécutions de prisonniers de guerre soviétiques par les Finlandais à Sandarmokh est « peu crédible ».

À l’issue des fouilles menées fin août et début septembre, la RVIO a toutefois annoncé avoir retrouvé la dépouille de cinq personnes, selon eux des militaires soviétiques.

« Un corps a été retrouvé dans une fosse individuelle […] les mains attachées derrière le dos et les restes d’une balle dans la tête. Il est évident que cette personne a été exécutée », a indiqué le directeur scientifique de la RVIO, Mikhaïl Miagkov, lors d’une conférence de presse, ajoutant que des expertises étaient en cours.

Selon l’historien Sergueï Veriguine, collaborateur du RVIO, les troupes finlandaises se sont servies des camps construits par le NKVD pour interner des milliers de prisonniers soviétiques dans la région de Sandarmokh.

« Les historiens finlandais ont uniquement étudié les cas d’exécutions de prisonniers soviétiques en Finlande, mais pas sur le territoire russe », affirme-t-il.

– « Faire pareil qu’à Katyn » –

L’authenticité et le bien-fondé de ces recherches peinent néanmoins à convaincre les militants des droits huamins, qui y voient avant tout une dimension politique.

« Pour moi, il est évident que l’objectif de ces fouilles est de manipuler l’opinion publique, c’est une tentative d’effacer les crimes staliniens », a affirmé à l’AFP Anatoli Razoumov, historien spécialiste des purges staliniennes.

M. Razoumov se dit persuadé que l’arrestation de son collègue Iouri Dmitriev, chef de l’ONG Mémorial en Carélie à l’origine de découverte des charniers à Sandarmokh en 1997, s’inscrit dans cette volonté de « récrire l’histoire ».

L’historien Iouri Dmitriev a été acquitté début avril dans un procès pour pédopornographie. Mi-juin, la Cour suprême de Carélie a toutefois annulé ce jugement et renvoyé l’affaire devant la justice.

Une semaine après cette annulation, M. Dmitriev a été à nouveau placé en détention, suscitant l’inquiétude de la société civile, qui dénonce ces poursuites comme un moyen de faire taire M. Dmitriev.

« J’ai peur qu’à Sandarmokh ils veuillent faire pareil qu’à Katyn […] À mon avis l’affaire contre Iouri [Dmitriev] est un maillon de la même chaine », a poursuivi M. Razoumov.

Lors du massacre de Katyn, une forêt près de la ville russe de Smolensk, 25.000 Polonais ont été fusillés et enterrés en 1940 sur ordre de Staline. Jusqu’en 1990, l’URSS affirmait que ces exécutions avaient été perpétrées par les nazis.

Début août, le parti d’opposition Iabloko et des proches de personnes exécutées à Sandarmokh ont porté plainte auprès du parquet de Carélie contre les fouilles, qu’ils accusent d’être illégales car se déroulant sur un lieu de mémoire.

« Les fouilles effectuées par la RVIO n’ont pas touché les fosses communes des victimes de la répression », a répondu à l’AFP Nadejda Oussmanova, porte-parole de cette organisation.

« Des soldats soviétiques morts pendant la guerre méritent aussi d’être retrouvés et enterrés. Une vérité n’en remplace pas une autre. Il ne faut pas usurper la mémoire historique », a-t-elle affirmé.

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