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Kenya: Lamu, coin de paradis, broie du noir à cause d’une centrale à charbon

Dans l'archipel de Lamu au Kenya, les pêcheurs sillonnent des chenaux bordés de mangrove tandis que la vieille ville à…

Dans l’archipel de Lamu au Kenya, les pêcheurs sillonnent des chenaux bordés de mangrove tandis que la vieille ville à l’architecture swahilie vit au rythme des allées et venues des boutres. Mais un projet controversé de centrale à charbon pourrait remettre en cause cet équilibre ancestral.

« Je pense que ça va être terrible, cela va détruire l’environnement ici », craint Thabit Omar Mohamed, un pêcheur de 29 ans. « Nous pensons que de nombreuses personnes vont avoir des problèmes de santé, comme des cancers, des maladies ».

Le gouvernement kényan prévoit de construire une centrale de production électrique à charbon d’une capacité de 981 mégawatts à Kwasasi, à une vingtaine de km à peine de la vieille ville de Lamu, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco comme « le plus ancien et le mieux préservé des lieux de peuplement swahilis en Afrique de l’Est ».

Mais le projet patine depuis plusieurs années face à la résistance de la population locale et le Tribunal national de l’Environnement doit décider lundi de son sort, des associations contestant la validité de l’étude d’impact environnemental.

La beauté naturelle de l’archipel inclut de longues plages préservées, des eaux riches en coraux et une faune marine comprenant cinq espèces de tortues menacées.

Les habitants, qui vivent majoritairement du tourisme ou de la pêche, s’inquiètent des répercussions de la centrale à charbon et de ses émissions sur la fréquentation touristique, qui se remet à peine de l’enlèvement d’une Anglaise et du meurtre de son mari par un gang armé venu de Somalie en 2011.

Si la centrale voit le jour, « les touristes ne viendront plus à Lamu. Ce sera comme il y a quelques années en arrière », anticipe l’oncle de Thabit, Ali Sultan. Quand il ne pêche pas, Ali Sultan transporte les touristes dans son petit bateau baptisé « Lamu Uber »…

– Patrimoine en danger –

Le gouvernement kényan assure que l’installation est nécessaire à la croissance économique de cette partie du pays, et met en avant l’utilisation de telles centrales dans des pays très développés.

Mais les détracteurs du projet soulignent une décision à contre-courant des efforts mondiaux en faveur des énergies renouvelables. D’autant que le Kenya fait figure de leader dans ce domaine, ses besoins électriques étant majoritairement fournis par l’hydroélectrique, la géothermie et l’éolien.

L’association Greenpeace assure que la centrale à charbon va accroître la pollution de l’air et provoquer des pluies acides tandis que les pompes utilisées pour son système de refroidissement auront un impact négatif sur la faune et les coraux.

Le comité de l’Unesco pour le patrimoine mondial, qui doit se réunir en juillet en Azerbaïdjan, a appelé la semaine dernière à l’arrêt du projet.

D’un montant de deux milliards de dollars, la centrale est quasi intégralement financée par la Chine et doit être exploitée par Amu Power, une joint-venture entre une entreprise kényane et la société omanaise Gulf Energy.

La centrale fait partie d’un projet de développement beaucoup plus important qui prévoit la construction d’un port, d’axes routiers et d’un oléoduc destinés principalement à transporter le pétrole brut sud-soudanais et faciliter l’approvisionnement en marchandises de l’Ethiopie.

Le projet, baptisé Lapsset (acronyme anglais de Couloir de transport Ethiopie-Soudan du Sud-Port de Lamu) et destiné à développer le nord-est du pays et à désengorger le port de Mombasa plus au sud, est en cours de travaux. La construction d’un des quais du futur port est quasiment terminée.

– Etat condamné –

Cet ambitieux projet a déjà des conséquences environnementales selon les pêcheurs locaux, qui expliquent qu’un récif corallien des environs est recouvert de sédiments et a été déserté par les poissons. En 2018, un tribunal a condamné le gouvernement, qui a fait appel, à verser quelque 18 millions de dollars de compensation à 4.500 pêcheurs.

La semaine dernière, l’Institut d’analyse économique et financière de l’énergie (IEEFA – installé aux Etats-Unis) a assuré que l’électricité produite par la centrale de Lamu coûterait 10 fois plus que prévu initialement, en raison des prix du charbon et d’anticipations de production trop optimistes.

Même le gouvernement, dans un document de prospective sur l’énergie dans le pays entre 2017 et 2037, mettait en garde contre une possible « sous-utilisation importante » de la centrale en cas de stabilisation de la croissance du pays au rythme actuel, pourtant de plus de 5%.

Pour Amu Power, le projet est viable économiquement et s’appuie sur des technologies récentes moins polluantes.

Pas suffisant pour convaincre les habitants, à l’image de Khadija Shekuwe Famau, qui milite au sein de Save Lamu (« Sauver Lamu »), une association locale contre la centrale.

« Le Lapsset a un impact important mais au moins on peut comprendre (l’intérêt du projet). Mais le charbon, il n’y a rien qui puisse le justifier ».

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