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Kosovo: la longue route d’Albin Kurti jusqu’aux portes du pouvoir

Il a goûté aux geôles de Slobodan Milosevic, prôné l'émeute contre la tutelle serbe puis contre des dirigeants qualifiés d'"usurpateurs",…

Il a goûté aux geôles de Slobodan Milosevic, prôné l’émeute contre la tutelle serbe puis contre des dirigeants qualifiés d' »usurpateurs », aspergé le Parlement de gaz lacrymogène: officiellement mué en social-démocrate, Albin Kurti est aux portes du pouvoir au Kosovo, où son parti est arrivé en tête des législatives dimanche.

« Le jour est arrivé! Le jour est arrivé! », a lancé dimanche à ses partisans l’ancien leader étudiant, 44 ans, héraut charismatique de Vetevendosje (Autodétermination), un parti de gauche nationaliste qu’il présente désormais comme de centre gauche.

Depuis près de deux ans, le « Che kosovar » porte cravate et costume, mais sa maîtrise du verbe déclenche toujours l’enthousiasme dans ses meetings où se pressent jeunes, étudiants, travailleurs ou chômeurs, exaspérés par la précarité, le clientélisme et la corruption: « Al-bin Kur-ti! Al-bin Kur-ti! », ont-ils scandé dans la nuit de dimanche à lundi.

Ils s’étaient déjà égosillés lors de l’ultime réunion de campagne vendredi à Pristina, démonstration de force de ce parti très discipliné. L’énergie et la rage y contrastaient avec, à 400 mètres de là, l’apathie des supporteurs âgés du PDK, le parti du président Hashim Thaçi.

Celui-ci va devoir se résoudre à confier à son vieil adversaire la tâche de bâtir une coalition de gouvernement.

Des discussions vont s’engager avec Vjosa Osmani, jeune tête de liste de l’autre parti d’opposition, la LDK (centre droit), devancé de justesse par Vetevendosje (25,6% contre 24,8% selon les résultats quasi définitifs), devant le PDK (21%).

– ‘Elite corrompue’ –

Albin Kurti devra aussi convaincre les Occidentaux qu’il n’est plus ce boutefeu qui faisait froncer les sourcils dans les ambassades, inquiètes de son rêve d’unification de tous les Albanais, ligne rouge pour les Serbes.

Il dit aujourd’hui que les conditions de ce projet politique ne sont pas réunies. Certes, à ses meetings ne flotte que le drapeau albanais, mais c’est parce que celui du Kosovo est identifié à « l’élite politique corrompue » qui le dirige depuis la déclaration d’indépendance de 2008, assurait-il à l’AFP il y a un an.

Dimanche, il a assuré de sa volonté de « mener le dialogue » avec la Serbie, d' »égal à égal », un dialogue au point mort depuis des mois.

Longtemps considéré comme un dur par les Serbes, il aura pour interlocuteur le président Aleksandar Vucic. Lui-même ancien ultranationaliste adepte de la grande Serbie et converti au centrisme conservateur pro-européen, le Serbe s’est dit dimanche prêt à parler à Albin Kurti en qui Belgrade voyait en juin 2017 « le promoteur ouvert d’un conflit ».

– ‘Juste. Ni fort, ni faible’ –

Albin Kurti, qui jugeait dès 2018 inéluctable son arrivée au pouvoir, assurait alors à l’AFP qu’il se garderait de tout autoritarisme dont l’accusent ses détracteurs. Des membres de Vetevendosje sont partis, l’accusant de n’avoir pour objectif que de devenir « le prochain père de la Nation ».

« Je serais juste. Ni fort, ni faible », avait alors répondu à l’AFP cet homme, jamais cité dans des affaires de corruption, singularité notable dans la classe politique kosovare qui est pour beaucoup dans sa popularité.

Albin Kurti est arrivé aux portes du pouvoir en adoucissant son image tout en gardant sa popularité née de son passé de leader étudiant, organisateur de manifestations anti-Milosevic qui tournaient à l’émeute.

Il a passé plus de deux ans dans les prisons serbes (1999-2001) avant de se muer en opposant aux chefs de la guérilla indépendantiste albanaise qui ont mené la lutte contre les forces serbes (1998-99) et sont aux commandes du Kosovo depuis la proclamation d’indépendance.

Il affirme que « le programme de Vetevendosje est social-démocrate depuis 2013 », mais en mars 2018, il incitait encore ses députés à asperger de gaz lacrymogène l’assemblée pour empêcher l’adoption d’une loi.

Le changement remonte en fait aux législatives de 2017, déjà terminées en tête par Vetevendosje. La route du pouvoir lui avait été barrée par une alliance des partis des anciens commandants de la guérilla, au soulagement à peine dissimulé des Occidentaux.

Mais, selon l’analyste politique Imer Mushkolaj, ceux-ci n’ont désormais plus « aucune raison de ne pas soutenir un nouveau gouvernement mené par Kurti » car « il ne dirigera pas le Kosovo comme il a dirigé l’opposition ».

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