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La Gambie ausculte son sombre passé, sans dissiper le fantôme de l’ancien dictateur Jammeh

Meurtres, tortures, exorcisme... La Gambie vient d'achever un an de douloureux et cathartique retour sur son histoire récente et les…

Meurtres, tortures, exorcisme… La Gambie vient d’achever un an de douloureux et cathartique retour sur son histoire récente et les crimes imputés à l’ancien président Yahya Jammeh et son régime.

Cette conclusion n’est que provisoire. Le petit pays anglophone d’Afrique de l’Ouest devrait replonger début 2020 et pour une année supplémentaire dans les horreurs des années Jammeh quand une commission instaurée en 2017 après le départ de l’ex-dictateur reprendra ses auditions de témoins, victimes ou exécutants.

Jusqu’alors, la Commission vérité, réconciliation et réparations n’a pas entamé les convictions des nostalgiques de l’ancien autocrate qui, récemment, réclamaient son retour dans les rues de Banjul.

Officier arrivé à la tête de la Gambie par un coup d’Etat en 1994, Yahya Jammeh a dirigé pendant 22 ans un régime de féroce répression. Il a été contraint de s’exiler en Guinée Equatoriale en janvier 2017, cédant à une intervention militaire africaine après avoir rejeté sa défaite à la présidentielle face à l’opposant Adama Barrow.

La Commission vérité a été établie la même année. Mission: enquêter sur les violations des droits humains entre 1994 et 2016, favoriser la recherche de la justice et des réparations pour les victimes, oeuvrer à la réconciliation.

La Commission pourra recommander des poursuites. Elle ne pourra pas prononcer de condamnations.

Depuis que la Commission a ouvert ses auditions en janvier 2019, les Gambiens ont assisté au spectacle fascinant et éprouvant consistant à explorer le passé dans une salle impersonnelle au plafond bas et à l’éclairage artificiel.

En personne ou par vidéoconférence, 190 femmes ou hommes, notables ou anonymes, en costumes traditionnels ou en uniformes, ont répondu en anglais ou en langue locale aux questions dépassionnées mais sensibles et acérées du chef conseiller Essa M. Fall et de son adjointe Horeja Bala Gaye, traduites simultanément en langage des signes.

– Aveuglement –

Ils ont livré des témoignages accablants.

D’anciens membres d’un escadron de la mort personnel de l’ex-président (les « junglers ») ont reconnu avoir assassiné le journaliste Deyda Hydara, correspondant de l’AFP, plus de 50 migrants ouest-africains échoués sur une plage, ainsi que d’anciens compagnons de route de M. Jammeh soupçonnés de vouloir le renverser.

« Nous vouions une loyauté aveugle à Yahya Jammeh », a expliqué l’un d’eux, Amadou Badjie.

Une ancienne reine de beauté a rapporté en larmes comment l’ancien président l’avait violée pour lui faire payer d’avoir rejeté sa demande en mariage.

De mi-novembre jusqu’à début décembre, 44 témoins ont relaté une chasse aux sorcières menée en 2009. Un millier de personnes ont été enlevées, accusées de faits de sorcellerie, selon Amnesty International. On les a forcés à ingurgiter d’étranges décoctions, avec de graves conséquences sur leur santé, ont dit les témoins.

Les raisons n’en sont pas claires. Yahya Jammeh passe pour extrêmement superstitieux, et aurait cru que des sorciers avaient causé la mort de sa tante.

L’an prochain, la Commission s’intéressera au traitement à base d’herbes que Yahya Jammeh avait inventé contre le sida et qui aurait été administré de force à des patients.

Yahya Jammeh s’est fait discret en exil. Mais la Commission ne semble pas altérer le soutien dont il bénéficie parmi certains Gambiens.

– Jammeh, le retour ? –

Son parti, l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (APRC) avec laquelle il semble rester en contact, a réuni en novembre des milliers de sympathisants qui ont réclamé son retour.

La Commission relève de « la chasse aux sorcières », assène Yankuba Colley, un membre de l’APRC, elle cherche « juste à faire dire aux témoins que c’est Jammeh le responsable de ces crimes ».

Fabakary Tombong Jatta, le chef actuel de l’APRC, organise des réunions chez lui où le retour de l’ancien leader est sur toutes les lèvres. « Il a le droit de revenir (…) Ce n’est qu’une question de temps », prédit M. Jatta.

Le seul scénario possible, « c’est qu’il revienne comme simple citoyen, pas comme président », a répondu à l’AFP la présidence.

Le président actuel est lui-même à la croisée des chemins. Il avait promis de quitter son poste au bout de trois ans sans attendre la fin de son mandat de cinq ans. Mais cet engagement paraît sérieusement remis en cause.

D’autres demandent le retour de Yahya Jammeh, mais pour qu’il soit jugé.

La Commission est « vraiment en train de monter un dossier contre lui », dit Reed Brody, avocat pour l’ONG Human Rights Watch. L’attente générale, c’est que la Commission demande son extradition, dit-il.

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