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La RDC inaugure son musée et temporise sur le dossier brûlant des « restitutions »

Un an après Dakar, Kinshasa: la République démocratique du Congo doit inaugurer samedi son grand musée national, dans un pays…

Un an après Dakar, Kinshasa: la République démocratique du Congo doit inaugurer samedi son grand musée national, dans un pays qui aborde avec réalisme le débat passionnel sur la restitution du patrimoine africain pillé pendant l’époque coloniale.

Situé le long du majestueux boulevard « Triomphal », à côté de l’Assemblée nationale, le musée national de la République démocratique du Congo (MNRDC) a été construit par la Corée du Sud pour 20 millions de dollars.

Havre de paix ouvert au public depuis juin, l’architecture du « MNRDC » isole le visiteur des bruits de la ville: portique d’accès avec galerie de colonnes, cour intérieure avec bassins, immenses portes coulissantes pour pénétrer dans les salles d’exposition, terrasse intérieure…

Sur deux niveaux, les trois salles présentent un tout petit échantillon du riche patrimoine culturel et cultuel congolais. Les quelque 400 oeuvres sont rangées par grands thèmes (défis de l’existence, cycle de la vie, expression culturelle).

Statuettes funéraires, masque en métal à l’expression profonde et mystérieuse, masque en bois aux grosses joues grotesques pour des rites d’initiation…: « Ces objets représente le génie créateur du peuple congolais », résume le directeur général de l’Institut des musées nationaux (INM), Paul Bakua-Lufu Badibanga.

« On a essayé de montrer l’homme congolais dans son environnement, actuel et ancien », ajoute-t-il.

Ce musée qui se veut « national » fait la part belle à quelques uns des 400 peuples identifiés le long du fleuve Congo et ses affluents (Luba, Tshokwe, Pende, Kongo…). Le musée est un miroir des paradoxes de l’identité congolaise, pays-continent où persiste des réflexes communautaires (« ethniques » ou « tribaux » disent les Congolais).

Le musée développe une approche trop « coloniale » de l’histoire et la société, au goût du professeur d’anthropologie Placide Mumbembele: « A l’entrée, vous avez la carte ethnique du pays (NDR: en fait l’énumération de toutes ses communautés). On se croirait dans les musées coloniaux des années 30 ou 40. On ne présente pas une société qui évolue ».

– « D’autres urgences » –

Les responsables de la scénographie ont choisi les 400 oeuvres parmi les dizaines de milliers de pièces conservées par l’Institut des musées nationaux (45.000, dont 12.000 ont été transférés dans les réserves du nouveau musée).

Les autres sont restées au siège de l’Institut, niché sur les hauteurs de Kinshasa dans l’enceinte du parc présidentiel du Mon-Ngaliema.

Là-bas, les objets sont conservées dans des conditions précaires. Une petite centaine (dont deux fauteuils de l’ancien dictateur Mobutu) sont exposés dans une salle vétuste et mal éclairée.

Quant à l’autre musée de Kinshasa, celui dédié à l’art contemporain, il expose et conserve dans des conditions « déplorables », selon l’un de ses responsables, les toiles des maîtres de la peinture populaire très prisés sur le marché de l’art (Chéri Samba, Moke, Pili Pili…).

Dans ces conditions, les autorités ne demandent pas à l’ancienne puissance coloniale, la Belgique, la restitution immédiate des biens culturels congolais.

« Nous avons d’autres urgences », avait déclaré le président Félix Tshisekedi au quotidien belge Le Soir avant son déplacement à Bruxelles en septembre.

Le chef de l’Etat pensait sans doute à la gratuité de l’enseignement primaire, un défi titanesque pour les fragiles finances publiques du plus grand pays d’Afrique sub-saharienne (2,3 millions de km2 pour 80 millions d’habitants, dont une vaste majorité vit dans une « pauvreté généralisée », selon le FMI).

La position congolaise contraste avec la volonté affichée par le Sénégal de récupérer toutes les pièces de son patrimoine conservées en France depuis l’ouverture du Musée des civilisations noires de Dakar il y a un an.

« On est prêt à tout prendre », a répété son directeur, Hamady Bocoum, dimanche dernier pendant la très symbolique restitution par la France d’un sabre du XIXe siècle ayant appartenu au savant El Hadj Omar.

Le débat sur la restitution est passionnel depuis la publication fin 2018 d’un rapport rédigé à la demande du président français Emmanuel Macron.

Ses deux auteurs préconisent une « restitution rapide. L’un d’entre eux, l’économiste sénégalais Felwine Sarr, affirme être la cible d’un « lobby » de la partie adverse: « On nous objecte qu’il n’y aurait pas de musées en Afrique ni de compétences, que le patrimoine y serait en péril (…) », affirmait-il en janvier au magazine français l’Express.

« La restitution est une question légitime », temporise à Kinshasa le professeur Placide Mumbembele, un spécialiste de la question.

« On doit coopérer pour que les chercheurs congolais et belges puissent travailler sur l’origine des objets conservés au Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren. On peut résoudre cette question en douceur, et non avec des émotions qui prennent le dessus sur la réflexion », ajoute-t-il.

Des échanges et des expositions temporaires peuvent être une solution dans un premier temps pour apaiser les blessures de l’histoire de l’art, et de l’histoire tout court.

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