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La vie de l’exilé Trust Sibanda, chronique personnelle des années Mugabe

Du règne de Robert Mugabe, Trust Sibanda a tout connu. L'ivresse de l'indépendance, les années de plomb et la ruine…

Du règne de Robert Mugabe, Trust Sibanda a tout connu. L’ivresse de l’indépendance, les années de plomb et la ruine finale. De son exil sud-africain, l’ancien prof raconte « ses » trente-sept ans du règne absolu de l’ancien président du Zimbabwe.

Lorsqu’il est né en 1979, son pays s’appelait encore la Rhodésie. Un an plus tard, le régime de la minorité blanche tombait à l’issue d’une longue guerre civile et le chef de la guérilla, un certain Robert Mugabe, prenait le pouvoir.

« Même gamin, vous sentez que quelque chose se passe », se souvient Trust Sibanda. « On entrait dans l’ère de l’indépendance. »

Mais l’euphorie des débuts retombe vite. A tel point que, vingt-sept ans après la « libération » de son pays, Trust Siband prenait la direction de l’Afrique du Sud avec une cinquantaine de rands en poche, l’équivalent de 3 euros d’aujourd’hui.

La faute de Robert Mugabe, accuse aujourd’hui le quarantenaire.

Contraint à la démission par un coup de force de « ses » généraux il y a deux ans, l’ancien président est mort la semaine dernière à 95 ans. Il a laissé en héritage à son successeur Emmerson Mnangagwa un pays traumatisé par la répression et ruiné par la crise.

« Mugabe a lancé pas moins d’une trentaine de plans économiques pendant toutes ces années », illustre Trust Sibanda. « Certains relevaient de l’expérience sur des cobayes humains. »

A Gweru, dans le nord du Zimbabwe, sa famille en subit les premiers effets dès 1991. Son père perd son emploi de chauffeur, victime de la suppression des barrières douanières. « L’impact sur nos vie a été terrible. Celui qui gagnait l’argent du ménage n’avait plus de travail. »

– ‘Plus de dessert’ –

De honte, le père de Trust Sibanda préfère quitter sa femme et ses quatre enfants. Désormais seul avec sa mère et ses frères et sœurs, le gamin rêve de devenir mécanicien.

Faute de place à l’université, il devient enseignant. Sa première affectation le mène dans la petite ville voisine de Gokwe. « Mon salaire était alors suffisant pour que je fasse vivre toute ma famille et même qu’on agrandisse la maison. »

C’est alors que la crise frappe. Au début des années 2000, l’éviction violente des fermiers blancs du pays a ruiné l’agriculture et plongé toute l’économie du Zimbabwe dans une crise économique et financière dont elle ne s’est toujours pas relevée.

Les prix s’envolent, la devise locale dégringole. Trust Sibanda se souvient que son salaire était dépensé au milieu du mois.

« Ce qu’on pouvait acheter en août n’avait plus rien à voir avec ce qu’on pouvait acheter en avril ». Pour la première fois de sa vie, il est obligé de puiser dans son épargne. Et de se priver. « Avant, on pouvait se payer un dessert quand on voulait… »

Le jeune homme se marie en 2003. Pour mettre du beurre dans ses épinards de plus en plus maigres d’enseignant, il commence à réparer des téléphones ou des télévisions.

En 2007, la situation empire encore. « Si j’avais converti mon salaire de l’époque en devise étrangère, je n’aurais pas pu me payer plus qu’un bidon de 2 litres d’huile de cuisson. »

Cette année-là, sa fille de 4 ans est exclue de l’école. La famille ne peut plus payer. Le jour-même, le père de famille jette quelques vêtements et son diplôme d’enseignant dans une valise et monte à bord d’un bus en direction de l’Afrique du Sud.

– ‘Terre promise’ –

« J’avais en tête l’image d’un paradis ».

Une fois à Johannesburg, il se fait déposer dans le township de Tembisa, où sa congrégation a une paroisse. C’est l’heure du repas. « Je ne l’ai jamais oublié. C’était la première fois que je mangeais des betteraves », dit-il, « je ne savais pas ce que c’était ».

Emerveillé par les voitures et les habits des fidèles de l’église, il se prend à rêver de faire fortune.

Le lendemain, il est dans la rue pour vendre des balais, avec d’autres Zimbabwéens. Chaque rand épargné lui permet d’expédier un peu de farine et d’huile à sa famille restée au pays.

« Le Zimbabwe connaissait alors ses heures les plus noires. Les magasins étaient vides et ma famille n’arrêtait pas de me harceler. Ils pensaient que, dans ma +terre promise+, je les avais oubliés ».

Sa nouvelle vie à Johannesburg est pourtant loin d’être rose. Très vite, il renonce à trouver un poste d’enseignant et se rabat sur ce qu’il sait faire: réparer des télévisions.

Jusqu’à ce qu’en 2011, il soit recruté par une entreprise de formation où il occupe aujourd’hui une situation confortable à laquelle il n’entend pas renoncer pour rentrer au Zimbabwe.

Et lorsqu’on lui demande de résumer le règne de Robert Mugabe, un seul mot lui vient aux lèvres: « trahison ».

« On peut lui reconnaître d’avoir généralisé l’éducation pour tous, c’est vrai, mais il a échoué à offrir des opportunités économiques à sa population », résume Trust Sibanda, « et il n’a jamais rien fait pour m’aider à payer mes factures. »

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