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L’Afrique du Sud à l’épreuve de l’enseignement de l’apartheid

Les photos en noir et blanc défilent sur le mur de la classe, un air poignant de gospel en fond…

Les photos en noir et blanc défilent sur le mur de la classe, un air poignant de gospel en fond sonore. Des manifestants en colère, des policiers qui matraquent la foule, des corps sans vie allongés sur la route, des dizaines de cercueils alignés…

C’était le 21 mars 1960 à Sharpeville, en Afrique du Sud. La majorité noire commençait à secouer le joug du régime blanc de l’apartheid, que les lycéennes de la très chic école privée pour filles Herschel, au Cap (sud-ouest), n’ont pas connu.

Ce matin, leur professeure d’histoire Leah Nasson invite une vingtaine d’entre elles, blanches à une exception près, à se plonger dans le passé controversé de leur pays.

Elle le sait par expérience, sa leçon sera plus délicate que d’ordinaire. Un quart de siècle après l’avènement de la démocratie en Afrique du Sud, y enseigner l’histoire de l’apartheid reste un défi pédagogique et émotionnel.

Leah Nasson a fait le pari « de l’émotion et de l’empathie » parce que, dit-elle, « ça rend plus facile la compréhension du fond ».

Pendant dix minutes, les images du massacre qui a ensanglanté le township de Sharpeville – 69 Noirs abattus par la police – vont secouer les adolescentes.

« Ca m’a un peu horrifiée que quelque chose comme ça puisse arriver », réagit Louisa Siebel, 16 ans.

Dans son uniforme bleu gris, l’adolescente blanche ne cache pas son embarras. « Je n’ai rien fait directement mais quelque chose a mal tourné dans notre pays, dans notre peuple, et ça je m’en sens coupable. »

– ‘Eclairer le présent’ –

« Avant ma génération, des gens de ma couleur et de ma race ont subi ça. A chaque fois ça me fend le cœur », confie sa camarade métisse Carly Carter, 15 ans.

« Mais je sais qu’il est important de se préoccuper aujourd’hui de ce qui s’est passé hier », ajoute-t-elle.

La professeure opine. A la fin de son diaporama, elle a pris soin d’ajouter des photos récentes du township noir de Langa, le plus ancien du Cap.

Baraques de tôles ondulées, tas d’ordures, rues défoncées en terre battue… Le rappel que l’Afrique du Sud reste, malgré sa démocratie, un des pays les plus inégalitaires de la planète.

« Connaître le passé doit éclairer (les élèves) sur le présent », espère Leah Nasson, « les aider à comprendre pourquoi nous en sommes là, pourquoi toutes ces fractures, et les aider à s’opposer aux comportements racistes ».

L’enseignement de l’histoire n’est pas obligatoire dans les lycées sud-africains, mais laissé à l’initiative de chaque établissement.

Le gouvernement veut l’imposer et réviser son contenu qui, selon la ministre de l’Education Angie Motshekga, « perpétue une vision coloniale ou occidentale ». Sa réforme suscite une vive controverse politique.

Dans ce climat, toute leçon sur l’apartheid relève du défi.

Depuis 2003, l’ONG Shikaya aide les enseignants à aborder ce sujet toujours très sensible.

Avec les cours sur l’apartheid, « chaque année, des milliers d’enseignants noirs reviennent sur un traumatisme, donc ils veulent vite s’en débarrasser », note son fondateur, Dylan Wray, « et beaucoup de professeurs blancs (…) préfèrent se concentrer sur l’avenir ».

– Préjugés –

Formation et précautions n’empêchent pas la controverse.

Leah Nasson a subi les foudres de parents de sa précédente école. « Il y avait beaucoup de racisme, alors j’ai fait un cours sur les préjugés », dit-elle. « On m’a accusée de faire de la politique (…), les choses changent mais les résistances restent fortes. »

Loin des quartiers opulents du Cap, son collègue Milton Changwa n’a pas, lui non plus, la tâche facile.

Il enseigne l’histoire dans un township noir de Worcester, à une centaine de km de là. Ici, pas de pelouses fraîchement arrosées, ni de tablettes dernier cri dans les classes.

Aujourd’hui, le professeur du lycée Vusisizwe a demandé à ses 29 élèves de décrire ce qui, à leurs yeux, différencie Noirs et Blancs. « Parce qu’à la base de l’apartheid », explique-t-il, « il y a l’identité ».

Leurs réponses en disent plus que tous les discours sur l’empreinte laissée par le régime blanc dans les esprits.

Pour les élèves, le Noir est « inférieur », « violent », « pauvre » et se distingue par sa « culture » et son « physique ». Le Blanc est lui « propre », « riche », « intelligent », « civilisé », « respectueux » et il a « les cheveux blonds ».

– Héritage –

L’enseignant ne s’en étonne pas outre mesure. « C’est notre héritage », explique-t-il.

Pendant une heure, Milton Changwa va détailler à son auditoire le quotidien de l’apartheid. Celui qu’il a connu. L’habitat séparé, les évictions, l’éducation au rabais, la peur de la police…

Dans la classe, les réactions fusent. « Je hais les Blancs qui nous ont traités comme des moins que rien », dit un élève. « Revanche », clame un autre.

L’émotion retombée, les élèves comparent leur situation à celle de leurs parents, avec maturité.

« Il y a toujours du racisme mais moins marqué », juge l’un d’eux, Xabiso Dyantyi, 17 ans. « Nous les Noirs sommes en train de trouver notre place, on n’est plus opprimés », ajoute sa camarade Palesa Porcia Phillip.

Vingt-cinq ans après l’élection d’un président noir, permise par l’abolition des lois d’apartheid au début des années 90, l’Afrique du Sud reste donc encore loin de la « nation arc-en-ciel » rêvée par Nelson Mandela. Mais la jeune génération semble vouloir y croire.

« Une vraie réconciliation est possible », estime la Blanche Jenna Betty, 15 ans.

« Moi, je veux devenir avocate pour défendre les gens et réparer ce pays », renchérit la Noire Claudia Phumza Lindi, 16 ans.

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