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Le chapelet, l’incontournable accessoire du musulman sénégalais

Égrener un chapelet ou « kurus » (en wolof) est devenu de nos jours l'une des pratiques les plus prisées…

Égrener un chapelet ou « kurus » (en wolof) est devenu de nos jours l’une des pratiques les plus prisées par les Sénégalais. Dépassant le cadre strict de la mosquée, ils s’y adonnent partout, en tout temps et tout lieu : dans les transports publics, dans les grand places et en plein jogging.Hommes, femmes, vieux et jeunes, ils sont nombreux à arpenter les rues, le matin ou le soir, pressant le pas ou marchant posément. 

Le regard au loin et les lèvres murmurant d’inaudibles incantations, l’incontournable chapelet est alors brandi en main ou tenu à bout de bras. D’autres, les bras derrière le dos, font les cent pas en égrenant leur chapelet. 

Rencontré un vendredi peu après la prière de l’après-midi aux abords de la zawiya « El hadj Malick Sy » (lieu de zikrs pouvant faire office de mosquée), Abdoulaye Ndoye fait savoir qu’il utilise son « kurus » pour faire ses « wird » et « wazifa ». Séances de louanges à Allah et au Prophète (PSL) auxquelles sont astreints les disciples de la tidjanya, une des principales confréries soufies au Sénégal.

En bon fidèle tidjane, Abdoulaye fait ses zikrs avec un chapelet « zaytoune » ou olivier, un arbre cité dans le Coran et dont les bienfaits au point de vue spirituel seraient immenses pour beaucoup de musulmans sénégalais.

Amadou Tidiane Kane, vendeur de chapelets à la devanture de la « zawiya » El Hadj Malick Sy, située au centre-ville de Dakar, approuve les bienfaits rattachés au « zaytoune » dont les perles servant à fabriquer un « kurus » sont de couleur marron.

Hormis le « zeytoune », il y a notamment le « bakhline », le « djalabane », le « kouke » et le « mardjane ».  Autant de « kurus », reconnaissables à leur couleur et à leur taille…

Abdoul Kâ, un vendeur de chapelet officiant devant la mosquée omarienne, insiste, lui, sur la différence entre le « kurus » standard qui compte 99 perles et celui des adeptes des confréries qui en ont 100. Mieux, ajoute-t-il, il y a une différence entre le chapelet qu’égrènent les adeptes de la Tidjanya et ceux de la Mouridya (mourides), l’autre grande confrérie du Sénégal.

Chez les premiers, le chapelet est jalonné de cinq marqueurs (grosses perles, appelées +cédé+, en wolof), d’où il est ainsi conçu : 12 (perles) + 18 (perles) + 20 (perles) + 20 (perles) + 18 (perles) + 12 (perles).

Chez les mourides, confrérie fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, le chapelet comprend deux marqueurs qui font qu’il se présente ainsi : 33 (perles) + 34 (perles) + 33 (perles).

Fervente disciple de la famille Niassène (une branche de la Tidjanya basée à Kaolack, 200 km de Dakar), Bineta Lam possède deux chapelets dont elle ne se sépare jamais. Aussi, à la moindre anicroche, elle accourt vers Abdoul Kâ, son fabricant attitré.

                                                                                     

Trouvée en plein marchandage avec ce dernier, elle explique qu’elle est venue se faire réparer ses deux chapelets dont les fils se sont cassés.

« Je suis tidjane et je ressens un réel plaisir en faisant mes +wird+ ou +lazim+. Quand je ne suis pas occupée (par le travail), je ne me sépare pas de mon chapelet », confie Bineta qui a payé 1000 francs pour se faire réparer ses « kurus ».

Bien que peuplé de 95 % de musulmans, le Sénégal compte une communauté chrétienne qui se sert également du chapelet. Pour en acheter, comme le reconnait le père Joseph Adeoko, vicaire à la paroisse des Martyrs de l’Ouganda de Dieuppeul, les fidèles chrétiens doivent se rendre à l’esplanade des églises ou profiter de certaines manifestations religieuses.

A la paroisse des Martyrs de l’Ouganda, Agnès Ndour vend divers chapelets dont des « quarts du rosaire » à 500 ou 1000 FCFA l’unité. Ce chapelet est le plus utilisé par les fidèles.

Il comprend « 50 séries de 10 +Je vous salue Marie+. (Et) chaque dizaine est introduite par un +Notre père+ », explique le prêtre avant de brandir son annulaire sur lequel on peut voir une bague conçue en chapelet. Il s’agit du « dizainniet » qui est le cinquième (1/5e) du quart du rosaire.

                                                           

Quant au rosaire, il regroupe toutes les perles de l’instrument chrétien et sert à méditer sur la vie de Jésus.

Si « le chapelet chrétien – offert par le prêtre Saint Dominique pour répondre à la volonté des fidèles qui ne comprenaient les prières faites en latin – remonte entre le 12e et le 13e siècle », celui musulman est venu après le Prophète Mouhammad (PSL).

Cela explique pourquoi Ismaïla Diop, enseignant-chercheur au département d’Arabe de l’Université de Dakar, fait cette remarque tout en s’abstenant de rejeter l’usage du chapelet : « certains estiment que c’est une innovation blâmable – le Prophète et ses compagnons ne l’ayant pas utilisé -, mais on mettrait dans ce cas la montre ».

Dans tous les cas, le chapelet est juste « un instrument qui sert à compter », souligne-t-il avant d’ajouter : « le fidèle peut le (zikr) faire n’importe où et n’importe quand ».

On comprend pourquoi certains fidèles, après la prière, font leurs invocations sur le bout des doigts avant de s’en aller, laissant leurs coreligionnaires malmener frénétiquement leurs chapelets.

                                                    

Pour le plus grand bonheur des vendeurs de chapelets comme Amadou et Abdoul, les utilisateurs des chapelets sont les plus nombreux. Ainsi, la vente du « kurus » nourrit bien son homme à Dakar, comme le reconnait Amadou dont l’un des spécimens, le « Bakhline », exporté d’Europe « peut coûter jusqu’à plus de 60 000 FCFA ».

La plus belle pièce de Amadou demeure toutefois le « Yousra », un chapelet dont chacune des perles porte en lettre argentée un des 99 noms de Allah. Prix de ce bijou : 80 000 FCFA.

Lors du Mawlid (anniversaire de la naissance du Prophète, PSL), célébré début novembre dernier au Sénégal, les ventes de chapelets sont montées en flèche dans les cités religieuses comme Tivaouane et Thiènaba (Thiès) ou Médina Baye (Kaolack).

« A Dakar, mes bénéfices sont variables (8000, 10 000 et 15 000 francs). Mais à Médina Baye, où j’étais récemment, j’arrivais à gagner jusqu’à 80 000 francs par jour », confie Abdoul, soulignant que c’est avec son commerce qu’il entretient sa famille, sans compter le « troupeau » de moutons qu’il s’est payé à Pété, son village natal du Fouta.

Bémol dans le fructueux commerce du chapelet : l’intrusion des Chinois. A en croire Amadou et Abdoul, les ressortissants de l’empire du Milieu « ont gâté le marché » en proposant aux fidèles des chapelets en pacotille ou en caoutchouc coûtant 500 à 1000 FCFA.

 Pourtant, la concurrence ne vient pas seulement des Chinois : des Burkinabè, des Maliens, des Nigérians et des Nigériens, surtout, ont également investi le marché du chapelet.

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