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Le Pakistan sanctionne des groupes islamistes mais peine à convaincre

Devant la mosquée du Jamaat-ud-Dawa (JuD), toute référence à ce groupe considéré comme terroriste a disparu. Deux semaines après la…

Devant la mosquée du Jamaat-ud-Dawa (JuD), toute référence à ce groupe considéré comme terroriste a disparu. Deux semaines après la crise aiguë qui l’a opposé à l’Inde, le Pakistan est sous forte pression pour éliminer les organisations extrémistes actives sur son territoire et convaincre de sa bonne foi.

Les premières arrestations de militants islamistes ont été annoncées le 5 mars, moins d’une semaine après la grave confrontation qui a opposé New Delhi et Islamabad au sujet de la région disputée du Cachemire.

L’Inde accuse de longue date le Pakistan d’héberger des terroristes sur son sol et de s’en servir comme base pour l’attaquer, notamment dans le cas de l’attentat-suicide du 14 février à Pulwama, qui a déclenché la crise.

Plus d’une centaine d’interpellations ont eu lieu au total selon les autorités, de même que le gel des comptes et la saisie de biens. D’après un décompte de l’AFP, les autorités ont déclaré avoir pris le contrôle de plus de 700 mosquées, madrasa et dispensaires.

« Le gouvernement ne permettra à aucun groupe insurgé d’utiliser le sol pakistanais pour aucune sorte d’activité terroriste en dehors du pays », a lancé le Premier ministre Imran Khan peu après.

« Nous faisons partie de la communauté internationale, nous sommes un pays responsable », a-t-il ajouté, plaidant pour un « Pakistan stable et pacifique », ayant tout à gagner à se présenter sous un jour attractif pour les investisseurs.

Mais le Pakistan aura fort à faire pour convaincre la communauté internationale que cette opération, qui n’est pas la première de ce type dans le pays, est sincère, soulignent les analystes.

Le blocage par la Chine, proche alliée du Pakistan, mercredi au Conseil de sécurité de l’ONU de sanctions contre le chef du groupe Jaish-e-Mohammad (JeM) Masood Azhar, a renforcé la suspicion que les mesures prises sont essentiellement cosmétiques.

Si Azhar avait été placé sur liste noire, le Pakistan aurait été moralement contraint de l’arrêter, explique un diplomate. « Le Pakistan cherche-t-il tout simplement à nous berner? », s’interroge ce diplomate. « Je dirais que oui. »

L’Inde non plus ne fait pas mystère de son scepticisme quant aux mesures annoncées par le Pakistan. La France a annoncé vendredi le gel des avoirs de Masood Azhar « à titre national ».

– Imams remplacés –

La répression a visé notamment le JeM, qui avait revendiqué l’attaque de Pulwama, et le JuD, organisme de charité considéré comme une émanation du groupe Lashkar-e-Taiba (LeT), accusé par l’Inde et les Etats-Unis d’être responsable des attentats de Bombay en 2008.

Le JuD est très actif et populaire dans le pays pour son aide humanitaire aux pauvres.

« On nous a ordonné de fermer nos centres de santé et de remettre nos ambulances et nos séminaires » aux autorités, a déclaré à l’AFP Aqbar Khan, cadre du JuD à Peshawar. « Nos leaders nous ont demandé de tout accepter et de faire profil bas. »

A Islamabad, plus aucune référence au JuD n’est désormais visible sur la mosquée Al-Quba. Accrochée à un poteau, une pancarte verte proclame la nouvelle gestion des lieux par le « gouvernement du Pakistan ».

« Presque tous nos responsables ont été arrêtés. Tous nos imams ont été remplacés. Toutes nos mosquées ont été prises », a affirmé à l’AFP une source proche du JeM. « Nous n’avons jamais subi de mesures aussi fortes. »

L’actuelle opération a des précédents. Après des attentats contre le Parlement indien en 2001 et à Bombay en 2008, attribués à des groupes extrémistes pakistanais, des dizaines d’islamistes avaient été arrêtés, puis libérés.

Une nouvelle vague d’interpellations temporaires était survenue après un massacre en 2014 dans une école de Peshawar, qui avait fait près de 150 morts.

– « Stratégie » –

Reste que pour la chercheuse du Wilson center Huma Yusuf, « la fermeture de grandes infrastructures est une étape très importante, mais (qui) ne montre pas que l’ensemble du réseau a été démantelé ».

« Il y a toujours des milliers d’activistes dans le pays. Que fait-on d’eux? Un plan de paix et de réconciliation, de la déradicalisation? Pour l’instant, il n’y a rien », observe-t-elle, déplorant l’absence d’une « stratégie de long terme ».

Selon elle, il « s’agit clairement d’une réaction forte » aux pressions diplomatiques et à celles du Groupe d’action financière (Gafi), un organisme qui menace de le placer prochainement sur une liste noire des pays finançant le terrorisme.

Une telle décision constituerait un revers majeur pour le Pakistan et pourrait affaiblir son économie, déjà dans le rouge.

Mais même une telle perspective ne pourrait pas suffire à convaincre les puissantes agences militaires pakistanaises de couper les ponts avec les islamistes.

Myra MacDonald, spécialiste du Pakistan, doute que Islamabad aille jusqu’au bout: « Pourquoi se débarrasseraient-ils de groupes qu’ils ont créés, nourris et défendus pendant trente ans? », s’interroge-t-elle.

La crainte est en outre réelle que « si on les frappe trop durement, ils s’en prennent en retour à l’Etat pakistanais », prévient-elle.

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