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Le royaume du Lesotho, pionnier africain du cannabis médicinal

Sur les hauteurs de la ville de Marakabei, au Lesotho, se dressent d'énormes serres, à l'abri des regards. L'entreprise Medigrow…

Sur les hauteurs de la ville de Marakabei, au Lesotho, se dressent d’énormes serres, à l’abri des regards. L’entreprise Medigrow en a déjà construit dix-huit. A l’intérieur ni fruits, ni légumes, mais des centaines de mètres de plants de cannabis.

« Nous avons trois rangées qui contiennent chacune 1.200 plants. Sur toute l’infrastructure, ça nous en fait 3.600 », explique fièrement Albert Theron, le responsable de la production.

Le cannabis qui y pousse est légal et dûment réglementé.

Il y a deux ans, le Lesotho, petit royaume de 2,1 millions d’habitants enclavé au cœur de l’Afrique du Sud, a décidé de miser sur ce nouvel eldorado en devenant le premier pays africain à autoriser la culture du cannabis médicinal.

Selon la loi, ses graines sont largement épurées: le cannabis médicinal ne peut contenir plus de 0,03% de tétrahydrocannabinol (THC), l’agent psychoactif du cannabis; il contient quasiment uniquement du cannabidiol (CBD), substance non-psychoactive.

Installée au Lesotho, l’entreprise Medigrow a investi 17,4 millions d’euros dans son site des environs de la capitale Maseru et construit actuellement un héliport pour transporter son « or vert » de façon plus rapide et plus sécurisée, affirme son chef des opérations, Relebohile Liphoto.

Un investissement important, en phase avec les perspectives de développement du marché du cannabis à usage médical, qui sont colossales. Aujourd’hui estimé à 150 milliards de dollars (135 milliards d’euros), il pourrait atteindre en 2028 les 272 milliards de dollars (248 milliards d’euros), estime la banque Barclays.

« A l’heure actuelle, nous avons près de 2.000 kilos de biomasse et nous allons produire plus de 1.000 litres d’huile de CBD », confie M. Liphoto à propos de son exploitation au Lesotho. « Selon l’état du marché, on peut vendre un litre d’huile de cannabis entre 6.000 et 21.000 dollars ».

– Priorité aux étrangers –

« C’est une énorme opportunité pour le pays », assure à l’AFP la vice-ministre de la Santé Manthabiseng Phohleli.

Le Lesotho, frappé par le chômage, par une épidémie de sida qui touche 23% de sa population et confronté à un manque criant de services publics, fait partie des pays les plus pauvres de la planète, au 159e rang sur 189 du classement du développement humain de l’ONU.

Le fait d’avoir autorisé la culture du cannabis médicinal « attire les investisseurs » au Lesotho, se réjouit Mme Phohleli, qui souligne qu' »une dizaine d’entreprises oeuvrent déjà sur le territoire ».

Cultiver cet or vert a un prix: une licence annuelle de 30.000 euros à verser à l’Etat, renouvelable chaque année.

Cette somme, considérable pour les entreprises du pays à l’aune de la fragile économie du Lesotho, a jusque-là permis aux sociétés étrangères – notamment canadiennes et américaines – de dominer le marché.

Les agriculteurs locaux, en revanche, sont largement exclus de ce marché.

Mothiba Thamae, 38 ans, cultive des pommes, des pêches et du raisin sur ses 7,5 hectares depuis plus de vingt ans et aurait bien aimé profiter lui aussi de cette manne. « Nous pensions nous lancer dans le cannabis lorsqu’il a été légalisé. Mais la licence est bien trop chère pour nous », dit-il.

Une frustration. « On espérait que le gouvernement donnerait une opportunité aux petits fermiers Basotho (l’ethnie locale) d’en cultiver légalement. Malheureusement, non ».

Le petit pays d’Afrique australe est surnommé « le Royaume du Ciel » car il est le seul au monde dont toutes les terres se trouvent à plus de 1.400 mètres d’altitude.

– « Du bonus » –

Il bénéficie d’un ensoleillement important réparti tout au long de l’année et de terres fertiles, des conditions idéales pour la culture du cannabis.

Dans les campagnes, les habitants n’ont d’ailleurs pas attendu la légalisation: ils font pousser depuis des siècles la « matekoane », le cannabis en langue Sesotho.

« La première trace historique de la présence de +matekoane+ remonte au XVIe siècle, selon le chercheur Laurent Laniel, de l’European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction. « Les Koena se seraient installés au Lesotho vers 1550 en achetant des terres contre de la marijuana. »

Encore aujourd’hui, cette culture assure une part importante des revenus de beaucoup de petits agriculteurs.

Shasha possède une plantation de maïs dans le centre du pays. Entre les épis, il cultive illégalement du cannabis depuis une vingtaine d’années. « Les légumes nourrissent ma famille. L’argent du cannabis, c’est du bonus, ça me permet de survivre, de payer l’école à mes enfants », confie cet agriculteur, sous le couvert de l’anonymat.

Il peut compter sur de nombreux contrebandiers pour écouler sa marchandise.

Jama est l’un d’eux. « Tous les mois, je peux passer jusqu’à 80 kilos de l’autre côté » de la frontière avec l’Afrique du Sud, se targue-t-il, « ça me rapporte entre 400 et 500 euros ».

L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) estime que 70% du cannabis en Afrique du Sud provient des montagnes du « Royaume du Ciel » où, ajoute-t-il, « la marijuana est la troisième source de revenus ».

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