InternationalAFP




L’Erythrée fidèle à son mutisme après le Nobel de l’Ethiopien Abiy Ahmed

Depuis son Nobel de la paix il y a une semaine, obtenu en grande partie pour la paix conclue avec…

Depuis son Nobel de la paix il y a une semaine, obtenu en grande partie pour la paix conclue avec l’Erythrée, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed est acclamé à travers le monde. Mais Asmara, fidèle à elle-même dans son mutisme, n’a toujours pas réagi à la distinction.

Le président érythréen Issaias Afeworki, salué par le comité Nobel norvégien sans pour autant recevoir le prix conjointement avec M. Abiy, n’a en effet pas réagi publiquement à l’attribution du Nobel, laissant la communauté internationale dans l’expectative.

Pourtant, ce manque de réaction est on ne peut plus cohérent avec la manière dont Asmara opère depuis que les deux pays se sont rapprochés l’année passée, rouvrant des ambassades et des connexions aériennes, tout en multipliant les rencontres.

Certains observateurs espéraient que cette paix mènerait l’Erythrée, un des régimes les plus fermés et les plus durs au monde, vers l’ouverture et les réformes. En vain…

Pire. L’accord de paix est au point mort, et quelques dissidents estiment même que certains signes attestent d’un durcissement du régime, qui s’en est pris récemment aux institutions religieuses et aux écoles privées, tandis que les postes-frontières rouverts dans la foulée de l’accord de paix ont depuis été fermés.

Pour Dawit, un enseignant ayant fui l’Erythrée peu de temps avant la première étreinte entre MM. Issaias et Abiy sur le tarmac d’Asmara, la déception est grande de voir que rien n’a changé même après la fin officielle d’un état de guerre ayant duré deux décennies.

« Au moins avant, il y avait de l’espoir. Nous pensions que peut-être, s’il y avait la paix et que les choses changeaient, nous irions dans la bonne direction », explique Dawit, refusant de donner son nom entier pour des raisons de sécurité. « Maintenant il n’y a plus d’espoir ».

L’Erythrée, ancienne province éthiopienne, obtient son indépendance au début des années 90, dans la foulée de la chute du régime éthiopien de Mengistu Haïlé Mariam. M. Issaias est l’unique dirigeant que le pays a connu.

En mai 1998, les deux voisins entrent en guerre en partie pour quelques centaines de km2 désertiques situés le long de leur frontière commune. Le conflit ouvert, qui fait quelque 80.000 morts, prend officiellement fin en 2000, mais les deux pays continuent de se regarder en chiens de faïence.

– Service militaire –

Entre-temps, la situation des droits de l’Homme en Erythrée se détériore rapidement.

Des journalistes et politiciens sont enfermés pour avoir critiqué le président. Un service national obligatoire et à durée indéterminée – qui interdit notamment tout voyage à l’étranger – est introduit, ce qui vaut au pays d’être décrit comme une « prison à ciel ouvert » similaire à la Corée du Nord.

Ce système est toujours en vigueur et force des milliers d’Erythréens à commencer leur service militaire avant même d’avoir fini leurs études secondaires. Cette conscription forcée est une des principales raisons pour lesquelles des milliers d’Erythréens fuient chaque année leur pays.

L’accord de paix de 2018 a toutefois mené à la levée de sanctions de l’ONU, tandis que l’Union européenne finance désormais la construction d’une route réalisée, selon des critiques, grâce à du travail forcé.

Pour Asia Abdulkadir, une activiste basée à Nairobi, ce réchauffement à l’international inquiète ceux qui estiment que l’isolement de M. Issaias était « une des choses qui aurait pu accélérer » son départ.

Et ces derniers mois, le régime érythréen semble s’être encore durci. En juin, les centres de santé gérés par l’église catholique ont été fermés, deux mois après la publication d’une lettre de leaders catholiques exprimant leurs préoccupations face à l’absence de réformes.

Des tentatives de nationaliser des écoles privées ont également été rapportées.

« Le gouvernement se sent clairement assez fort pour s’en prendre à nouveau à des individus ou des organisations, dont l’église catholique, qui ont pris le risque de critiquer certaines politiques et pratiques », souligne Laetitia Bader, de l’ONG Human Rights Watch.

Pour l’heure, impossible de savoir si, ou quand, M. Issaias commentera le prix Nobel de M. Abiy.

Pour ceux qui espèrent des réformes, l’incertitude est encore plus importante.

« Beaucoup de mauvaises choses se passent en Erythrée », assure Dawit, l’enseignant. « Un jour, tout cela éclatera au grand jour et le monde dira +Quoi? Vraiment? Tout cela se passait?+ »

Suivez l'information en direct sur notre chaîne