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Les 30 jours qui ont secoué 30 ans de « succès » chilien

En 30 jours, le mouvement social au Chili, sans leader et marqué par des scènes de violences inédites, a remis…

En 30 jours, le mouvement social au Chili, sans leader et marqué par des scènes de violences inédites, a remis en cause le « succès » du modèle économique du pays et acculé le pouvoir à des concessions jamais observées en trente ans.

« Les citoyens nous ont réveillés (…) et ce sont eux qui vont décider », a reconnu vendredi avec humilité la porte-parole du gouvernement, Karla Rubilar, quelques heures après la conclusion d’un accord historique des partis politiques sur l’organisation d’un référendum pour remplacer la Constitution héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990).

Oubliée l’arrogance d’une élite politique, omniprésente dans les secteurs économiques clés du pays, jugée endogame et critiquée pour son dédain à l’égard des préoccupations quotidiennes du plus grand nombre.

Fini aussi le ton martial du président Sebastian Pinera qui, aux lendemains du 18 octobre, face à une explosion de violences aussi inédite qu’inattendue, déclarait que son pays était « en guerre » et décidait le déploiement de milliers de militaires dans les rues, du jamais-vu depuis 1990.

Car ni les militaires, ni la repression des forces de l’ordre, accusées de nombreuses violations des droits humains, n’ont entamé la détermination des manifestants — dont beaucoup de jeunes — bien décidés à en finir avec les « abus » d’un système économique ultra-libéral qui a drastiquement diminué la pauvreté (-30% depuis 1990), mais n’a jamais remis en cause les fondements d’une société fortement inégalitaire.

Augmentation de 20% du salaire minimum et des petites retraites, diminution du traitement des parlementaires, gel des tarifs de l’électricité et des péages, réforme fiscale pour taxer les plus fortunés : le gouvernement de droite a revu de fond en comble son programme social, et pourrait être contraint d’aller plus loin si la colère persiste dans la rue.

Autre concession spectaculaire pour la coalition conservatrice présidentielle : la voie désormais ouverte à un changement de Constitution, en remplacement du texte fondamental, adopté en 1980 en plein régime militaire, qui limite au minimum l’intervention de l’Etat dans des domaines comme l’éducation et la santé, les retraites relevant en majorité du secteur privé.

A peine investi d’un second mandat en mars 2018, le président Piñera (2010-2014) avait décidé de jeter aux oubliettes un projet de révision constitutionnelle déposée quelques mois auparavant par l’ex-présidente socialiste Michelle Bachelet (2006-2010, 2014-2018).

Il restera désormais dans l’histoire du Chili comme le président dont le gouvernement aura organisé un référendum sans précédent, dont l’issue pourrait enterrer définitivement l’héritage du régime Pinochet.

– « Frontières de la démocratie » –

« La rue a obligé la classe politique chilienne tout entière à faire ce qu’elle n’a pas voulu faire en trente ans et à le faire en quelques heures. C’est la preuve qu’il était possible de faire plus que ce qui a été fait jusque-là », estime Marcelo Mella, politologue à l’Université de Santiago.

Au pouvoir à plusieurs reprises pendant plus de 20 ans depuis le retour de la démocratie, l’opposition de gauche et de centre-gauche a également fait son mea culpa.

« La rue a donné une leçon à tous ceux qui (…) sans s’en rendre compte avaient remplacé leur espérance par de la résignation. Le peuple a fait bouger les frontières de la démocratie », a résumé Catalina Pérez, députée du parti Révolution démocratique (gauche) de la ville d’Antofagasta (nord).

Jusqu’au patronat qui a mené son autocritique : plusieurs hommes d’affaires, parmi les plus prospères du pays, ont ainsi reconnu la nécessité de « mettre la main à la poche » au nom de leur « rôle social » et ont annoncé des augmentations de salaires de leurs employés.

Si la rue a d’ores et déjà réussi à forcer l’élite à regarder en face ses difficultés quotidiennes, et les plus conservateurs à ouvrir la porte à une participation populaire dans une Assemblée constituante, les manifestants estiment que leurs problèmes les plus urgents — refonte du système de retraites, santé et éducation publiques de qualité — restent entiers.

« Le processus constitutionnel va durer deux ans, avec plusieurs jalons électoraux. Cela peut aider à canaliser les divergences, à modérer les attentes », veut croire Juan Luis Monsalve, avocat et consultant en questions politiques.

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