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Les éléphants de Lagos, secret bien gardé du Nigeria

La jungle était si dense qu'il n'aperçut les éléphants qu'au dernier moment, si proche qu'il pouvait presque les toucher. Depuis…

La jungle était si dense qu’il n’aperçut les éléphants qu’au dernier moment, si proche qu’il pouvait presque les toucher. Depuis des heures, Olabode Emmanuel était à la recherche de ces pachydermes tapis dans une forêt sombre, à une centaine de kilomètres de la plus grande ville d’Afrique, Lagos.

La matriarche « se mit à battre des oreilles, pour faire obstacle entre nous et sa famille », raconte le scientifique. « C’était extraordinaire ». Presque autant que de trouver des éléphants aussi près Lagos, la capitale économique du Nigeria, avec quelque 20 millions d’habitants et une pollution record.

Effrayés par les humains, ces éléphants de forêts petits et trapus vivent la nuit, explique M. Emmanuel, à la tête de la Forest Elephant Initiative, un organisme de préservation de la forêt d’Omo.

Ces 1.325 kilomètres carrés sont protégés depuis près d’un siècle mais aujourd’hui menacés par la déforestation illégale et l’urbanisation accélérée de la région.

Les lointains cousins des grands éléphants de la savane sont experts en camouflage. Si doués, d’ailleurs, que leur présence ici est un secret bien gardé.

« Quand les gens [de Lagos] entendent parler des éléphants, ils n’y croient pas », explique Joy Adeosun, un scientifique qui travaille avec M. Emmanuel. « Ils sont choqués ! »

Le Nigeria a perdu la quasi totalité de ses éléphants au cours des dernières décennies. Si bien que dans les échoppes qui vendent encore de l’ivoire sur les marchés de Lagos, les vendeurs l’assurent: « tous les éléphants du Nigeria sont partis ». L’un deux, exhibant une Vierge Marie de la taille d’un avant-bras taillée dans la défense d’un pachyderme, précise: elle vient du Cameroun.

– Tout le monde souffre –

A Omo, reconnue « réserve de biosphère » par l’Unesco, les éléphants ne sont pas seuls: antilopes, buffles ou encore chimpanzés ont été aperçus.

Mais protégée par l’Unesco ou non, Omo est grignotée de toutes parts à une vitesse folle dans un pays qui s’attend à voir sa population de 190 millions d’habitant doubler d’ici 2050.

Le taux de déforestation du Nigeria est l’un des plus élevés au monde, selon la FAO, l’agence de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation.

« Détruire, c’est facile », dit M. Emmanuel, dont l’équipe de 8 « community rangers » est totalement débordée. « Mais si la forêt disparait, c’est tout l’écosystème qui change. Il y a moins de pluie, puis les fermes sont moins fertiles. Et tout le monde finit par souffrir. »

La déforestation est interdite sur environ la moitié de la surface de la forêt (650 km2), consacrée à la vie sauvage.

Mais la corruption est endémique et des arbres sont abattus au mépris de la loi.

Ibiyinka James ne voit pas où est le problème. Au volant d’un camion chargé illégalement de bois, ce bucheron explique: « Il y a tellement d’arbres ici… Et les oiseaux peuvent voler vers une autre forêt. »

Une fois les arbres décimés, les fermiers viennent faire pousser leurs cultures.

« Je dois nourrir ma famille », plaide Christopher Shadrach, un villageois. « Que puis-je faire d’autre ? »

Comme des centaines d’autres Nigérians, M. Shadrach vit dans un des villages de cabanes de tôle qui ont poussé à la place des arbres.

– Libéralisme effréné –

Mais les éléphants mangent les plantations, au grand désespoir des fermiers. Et la colère monte tandis que l’espace se réduit, poussant les éléphants à chercher de nouveaux abris.

En avril 2018, des dizaines d’éléphants ont ainsi jailli de la forêt directement sur l’autoroute, paniqués, « en quête d’une nouvelle maison », selon M. Emmanuel.

La plupart ont dû faire marche arrière, mais quelques-uns ont réussi à se trouver une nouvelle cachette, encore plus près de la ville.

Depuis, il resterait une centaine d’éléphants dans la forêt d’Omo – mais leur existence n’a jamais été aussi menacée, comme celle de la forêt.

Pour tenter de les protéger, l’Africa Nature Investors (ANI), une fondation nigériane, ambitionne de développer l’écotourisme. « Cela pourrait créer de nouveaux emplois », espère Filip Van Trier, un homme d’affaires belge qui a grandi au Nigeria. « Mais d’abord, nous devons mettre un terme à la déforestation ».

Un mince espoir existe pour les éléphants de Lagos: la sauvegarde des terrains constructibles. Le Nigeria, pays où règne un libéralisme effréné, ne se soucie pas beaucoup de la préservation de la vie sauvage. Mais des prix de l’immobilier, oui.

Or « les forêts sont essentielles » pour empêcher les inondations de quartiers entiers construits sur des marécages, explique Shakirudeen Odunuga, de l’université de Lagos. Et sans elles, la chaleur serait irrespirable.

Loin de ces considérations immobilières, à Omo, Emmanuel et son équipe arpentent chaque jour la forêt pour tenter d’éviter sa disparition. Et le scientifique est sûr d’une chose, si la forêt disparait et les éléphants avec, les Nigérians le regretteront, mais « il sera trop tard ».

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