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Les fausses informations : diffusion massive, impact incertain, riposte faible

Les fausses informations saturent un peu plus chaque jour le débat politique dans le monde entier, portées par la puissance…

Les fausses informations saturent un peu plus chaque jour le débat politique dans le monde entier, portées par la puissance de dissémination et d’exposition des réseaux sociaux, et minant une confiance déjà faible dans les médias et les institutions.

C’est Donald Trump qui a popularisé l’expression « fake news », devenue une arme rhétorique pour attaquer, avant-tout, les médias, et qui est de plus en plus reprise par les politiques en Espagne, en Chine, en Birmanie ou en Russie.

« Fake news »: l’accusation signifie aujourd’hui tout et n’importe quoi, qu’il s’agisse de fausses informations volontairement produites pour nuire, de pastiche, de maladresses ou d’erreurs, mais aussi d’informations recoupées et vérifiées.

– Trump fait entrer les « fake news » dans le débat –

Près de deux ans après la victoire de Donald Trump, le débat fait toujour rage : les « fake news » ont-elles influencé le vote des Américains lors de la présidentielle de 2016 ?

Les fausses informations ont été nombreuses pendant la campagne. Hillary Clinton a notamment été accusée d’entretenir des liens avec un réseau de violeurs d’enfants, tandis que Donald Trump, lui, était crédité du soutien du pape.

La désinformation a eu un « impact significatif » sur le vote, affirment des chercheurs de l’Ohio State University qui ont interrogé des votants pour savoir s’ils avaient cru à certaines fausses informations.

S’ils ne sont pas en mesure d’affirmer que les « fake news » ont été décisives sur l’issue globale du scrutin, ils ont tout de même noté qu’il suffisait que 0,6% des votants – soit 77.744 personnes dans trois Etats clés – modifient leur choix, pour altérer le résultat du collège électoral et, donc, de la présidentielle.

Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Trump n’a cessé de qualifier de « fake news » toute information qui ne va pas dans le sens de ses intérêts – pour le seul mois de juin, 22 de ses tweets emploient l’expression – tandis que son proche entourage est allé jusqu’à mélanger vrai et faux en évoquant des « faits alternatifs ».

Cela nuit à la crédibilité des médias américains et certains parlent aujourd’hui d’une ère de « post vérité », une époque où la réalité n’est pas partagée par tous.

« La vérité n’est plus considérée comme importante », souligne John Huxford de l’Illinois State University. « Les mensonges et la falsification semblent même renforcer la réputation et l’influence, parmi les partisans, de ceux qui en font usage ».

Certaines études soulignent que, parallèlement à une polarisation accrue des positions politiques, de plus en plus de gens sont prêts à croire à des mensonges : une étude de 2017 a ainsi montré que 51% des électeurs républicains croyaient que Barack Obama était né au Kenya, un « hoax » pourtant démystifié des dizaines de fois.

De nombreuses personnes rejettent des informations parce qu’elles « heurtent leur conception du monde », selon une étude réalisée par deux chercheurs du Darmouth College (Etats-Unis) et de l’Université d’Exeter (Angleterre). « Certaines personnes mal informées peuvent être, au moins tacitement, conscientes qu’une information est correcte, mais ils ont du mal à le reconnaître ».

– Comment les « fake news » transforment notre perception quotidienne –

D’après une étude de l’institut de sondage YouGov pour le Reuters Institute dans 37 pays à travers le monde, la confiance dans les médias est à un niveau faible, quoique stable, de 44%.

Qui croire ? Qui ne pas croire ? Le quotidien qui dénonce la corruption d’un responsable ou ledit responsable qui pointe du doigt les « fake news » ?

Outre Donald Trump, régulièrement épinglé pour ses exagérations, inexactitudes ou contradictions, la situation se brouille plus encore lorsqu’un pays comme l’Ukraine orchestre fin mai la « fausse mort » du journaliste russe Arkadi Babtchenko pour, selon les autorités, empêcher une tentative d’assassinat le visant.

Cette mise en scène, relayée de bonne foi par les médias du monde entier, « c’est du pain bénit pour les paranoïaques et complotistes de tout poil. A un moment où la confiance dans l’information est tellement altérée, un État qui joue ainsi avec la vérité rend la situation encore plus compliquée », s’inquiète le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire.

Récemment, le CSA, l’autorité française de régulation des médias audiovisuels, a mis en demeure la branche française de la chaîne russe Russia Today pour un reportage « manquant à l’honnêteté » sur la Syrie. Le lendemain, l’agence fédérale Roskomnadzor, homologue du CSA, a accusé à son tour la chaîne internationale française France 24 d’avoir violé la loi russe sur les médias. La crédibilité médiatique vient se confronter aux enjeux politiques.

John Huxford explique que les réseaux sociaux peuvent amplifier la désinformation en agissant comme « chambre d’écho » : « le simple fait qu’un si grand nombre de personnes partagent un article de désinformation lui donne de la crédibilité ».

Une , prestigieuse université américaine, publiée début mars, a en outre souligné que les « fausses nouvelles » tendaient à se propager beaucoup plus rapidement que les vraies informations sur Twitter, quel que soit leur sujet.

– Crise existentielle pour les réseaux –

Pour beaucoup, Facebook est devenu le principal vecteur de propagation de la désinformation ces dernières années.

Le scandale Cambridge Analytica, dans lequel Facebook a admis que les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs ont été exploitées sans leur consentement par la société britannique, est venu s’ajouter à la critique, récurrente, qui mine la réputation de l’entreprise : sa propension à laisser circuler voire à valoriser sur son « fil d’actualité » quantité d’informations fausses de A à Z.

Aux États-Unis, de nombreux comptes Facebook et pages privées gérés par l' »Internet Research Agency », une « ferme à trolls » basée en Russie, ont été ciblés par le procureur spécial Robert Mueller dans l’enquête sur les possibles ingérences russes dans la campagne présidentielle de 2016.

Le 3 juillet, Facebook a admis qu’il faisait face à de multiples demandes des régulateurs américain et britannique suite au scandale Cambridge Analytica. Son patron Mark Zuckerberg avait été entendu un peu plus tôt par le Congrès américain et le Parlement européen.

Pour montrer sa disposition à changer, le géant américain a notamment accentué en 2018 une offensive autant communicationnelle que technique entamée fin 2016, en signant avec plus de 25 médias dans 15 pays comme l’Argentine, les Etats-Unis, la France ou l’Indonésie.

Objectif : que ces médias reconnus « évaluent la justesse des articles » circulant sur Facebook et, éventuellement, les signalent à l’entreprise qui ensuite dit pouvoir « réduire la distribution (de ces) articles (…) de 80% en moyenne » s’ils sont jugés faux.

Parmi les pays où la bataille de la désinformation fait rage et sur lesquels Facebook investit, le Brésil, touché en mai par une grève massive de routiers.

« De nombreux messages audios ont été diffusés avec des fausses informations, disant par exemple qu’il était impossible à Rio de trouver de la viande ou appelant à se rassembler à tel ou tel endroit sur la foi de consignes de supposés responsables syndicaux », raconte à l’AFP Cristina Tardaguila, qui a fondé le média de fact-checking brésilien Agência Lupa.

« Quand on vérifiait auprès des centrales syndicales, les fameux +Pedro+ ou +Jorge+ à l’origine de ces messages n’existaient pas, pas plus que les lieux de réunion », souligne-t-elle.

Mais les messages n’étaient toutefois peu ou pas diffusés sur Facebook d’après Mme Tardaguila qui voit de plus en plus de fausses informations migrer sur WhatsApp, plus d’un milliard d’utilisateurs au compteur dans le monde et une pénétration massive en Amérique Latine, en Afrique ou encore en Inde.

C’est ce que l’étude de Yougov notait déjà : face au danger pesant sur la confiance dans l’information, le recours aux médias sociaux comme Facebook pour s’informer semble en recul, au profit de messageries comme WhatsApp.

Pour Mme Tardaguila, le système de messagerie va être « la plateforme des +fake news+ durant l’élection présidentielle brésilienne » d’octobre.

Comme sa maison-mère Facebook, WhatsApp est accusé de favoriser la circulation des fausses informations, avec parfois une issue tragique. D’après la presse indienne, au moins 25 personnes ont été tuées en Inde en un an à cause de rumeurs circulant sur la messagerie aux 200 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans le pays.

WhatsApp commence lui aussi à annoncer des mesures : les médias peuvent créer des profils sur lesquels les utilisateurs signalent des contenus douteux.

Mais pas question pour autant pour l’entreprise d’aller beaucoup plus loin. Sur WhatsApp, les appels ou les messages, très majoritairement interpersonnels, sont cryptés et « aucun tiers, y compris WhatsApp, ne peut les voir ou les entendre », précise le groupe. Un gage de confidentialité, mais une difficulté pour lutter contre la désinformation.

Autre géant à s’y mettre, Google : l’entreprise a annoncé en mars une série de projets destinés à combattre la désinformation et à soutenir les médias jugés « crédibles », moyennant quelque 300 millions de dollars d’investissement sur trois ans. Son moteur de recherche fait remonter les vérifications faites par les organismes de « fact-checking ».

– Et après ? –

Malgré les initiatives de « fact-checking » qui se multiplient (149 dans le monde recensées par le de la Duke University), malgré les premières mesures engagées par les géants de l’Internet, aux résultats encore faibles, la désinformation a toujours un coup d’avance.

Et bientôt un nouvel outil dans la palette des fabricants de « fake news » grâce aux «  », des vidéos soigneusement manipulées et montées qui peuvent permettre de faire dire à peu près n’importe quoi à quiconque ?

Techniquement encore très difficiles à créer ou alors de fort mauvaise qualité, ces vidéos n’ont pas encore eu d’effet. Mais avec les progrès techniques à venir, un éventuel saut qualitatif inquiète déjà ceux qui craignent que ne devienne plus indistincte encore la frontière entre le vrai et le faux sur internet.

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