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Les mariages précoces coûtent des milliards à l’Afrique

Respect Ruvimbo Topodzi avait 15 ans et rentrait de l'école dans son Zimbabwe natal, lorsqu'un homme l'a draguée. Elle a…

Respect Ruvimbo Topodzi avait 15 ans et rentrait de l’école dans son Zimbabwe natal, lorsqu’un homme l’a draguée. Elle a tenté de le repousser, mais c’était trop tard.

Son père les a vus, et s’est imaginé qu’il se passait quelque chose entre eux. Il lui a ordonné d’épouser l’homme et de partir vivre avec lui. Elle a alors quitté l’école, est rapidement tombée enceinte. Ce n’est que lorsque son mari est devenu violent qu’elle a finalement pu retourner chez elle.

Depuis, Topodzi lutte contre le mariage précoce, pour que d’autres filles n’aient pas à vivre la même expérience, notamment à travers du lobbying auprès du gouvernement zimbabwéen, pour augmenter l’âge minimum du consentement au mariage de 16 à 18 ans.

« En tant que mère et survivante du mariage précoce, je (m’engage) passionnément pour que cela s’arrête », a-t-elle déclaré à l’AFP lors d’une récente conférence sur le sujet à Accra, la capitale du Ghana.

« Je sais ce que ça fait de se marier tôt et je sais comment les choses se passent au sein du couple – c’est tellement difficile. »

Plus d’un tiers des filles en Afrique subsaharienne se marient avant leur 18e anniversaire, ce qui coûte très cher aux pays concernés, selon un nouveau rapport de la Banque mondiale publié fin novembre.

Le manque à gagner serait de quelque 63 milliards de dollars (55,5 milliards d’euros) dans les 12 pays africains étudiés, car les jeunes épouses arrêtent leurs études plus tôt et contribuent moins aux revenus du foyer.

– ‘Incitations’ –

Chaque année d’études secondaires réduit de 5% ou plus la probabilité de se marier avant 18 ans, ajoute le rapport intitulé « Eduquer les filles et mettre fin au mariage d’enfants ».

L’Afrique de l’Ouest enregistre le nombre le plus élevé de mariages avant l’âge de 15 ans, et parmi les 20 pays qui occupent le haut du classement dans le monde, 18 se trouvent en Afrique.

Vingt-quatre pays ont lancé des stratégies nationales pour mettre fin à cette pratique sous l’impulsion de l’Union africaine (UA), qui espère atteindre cet objectif d’ici 2023.

Yvette Kathurima Muhia, de l’organisation internationale ‘Girls Not Brides’ (Filles, pas épouses), qui regroupe plus de 1.000 ONG, estime qu’il reste beaucoup à faire pour convaincre les filles de continuer leurs études, en leur offrant par exemple des repas gratuits et un moyen de transport.

« Les familles ont ainsi le sentiment qu’elles peuvent envoyer les filles à l’école, où elles recevront davantage d’aide et des incitations que si elles étaient à la maison », a-t-elle ajouté.

– Pauvreté et conflits –

En Afrique comme ailleurs, la pratique des mariages précoces est dû à des facteurs complexes tels que la pauvreté, le changement climatique et les conflits.

Ainsi, la sécheresse qui frappe l’ouest de l’Afghanistan, pays où la guerre a provoqué une grave crise humanitaire, oblige des familles à vendre leurs filles pour payer leurs dettes ou acheter de la nourriture, a affirmé l’ONU le mois dernier.

Au moins 161 enfants, âgés de moins d’un mois à 16 ans, ont été vendus entre juillet et octobre, selon l’Unicef, qui affirme que des bébés ont été fiancés.

Yvette Kathurima Muhia reconnait que l’objectif de l’UA d’éradiquer cette pratique d’ici 2023 « ne sera pas atteint », les progrès dans ce domaine étant jusqu’à présent trop « lents ».

Mais le mariage précoce n’est pas un problème limité aux pays en développement: en juin, l’Etat de New York a fait passer l’âge légal du consentement pour se marier de 14 à 18 ans.

Outre les politiques publiques et les réformes mises place par les autorités, les mentalités doivent aussi changer, selon Yvette Kathurima Muhia.

En septembre, le mariage d’une jeune Malaisienne de 15 ans avec un homme de 44 ans, deux mois après qu’une enfant de 11 ans ait épousé un quadragénaire, a suscité la colère dans ce pays asiatique.

Certains se servent aussi des réseaux sociaux pour « négocier » leurs épouses: en novembre, une adolescente de 17 ans vivant au Soudan du Sud a été « vendue aux enchères » sur Facebook, provoquant un tollé international.

Le poste viral a débouché sur la plus importante dot probablement jamais vue dans ce pays déchiré par la guerre, le plus offrant étant un homme trois fois plus âgé qu’elle: 500 vaches, trois voitures et 10.000 dollars, selon l’ONG Plan International. Un gouverneur faisait également partie des soupirants.

Selon Mme Kathurima Muhia, « l’un des défis que nous rencontrons sur le continent, est que les décideurs politiques censés protéger la loi sont ceux qui la violent ».

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