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Les multiples messages du bonnet béninois

Si dans beaucoup de pays africains le port du bonnet est un signe d'élégance voire d'appartenance religieuse ou confrérique, comme…

Si dans beaucoup de pays africains le port du bonnet est un signe d’élégance voire d’appartenance religieuse ou confrérique, comme au Sénégal, il en est autrement du Bénin où le couvre-chef permet à son propriétaire de dialoguer avec la communauté.Dénommé ‘’Gobi », le bonnet béninois a la particularité d’être conique pour bien épouser la tête et surtout d’avoir un bout effilé qui, telle une languette, peut être rabattu suivant les circonstances. Et pas n’importe comment dans la mesure où le message à transmettre dépend de la position du bout du bonnet.

Ce faisant, il complète souvent la tenue traditionnelle du ‘’Boomba » ou du ‘’Djarabou » qu’on arbore à l’occasion des mariages, des anniversaire, des cérémonies de remise de dot ou de diplômes.

Orienté vers l’avant sur le front, derrière sur la nuque, à gauche ou à droite, le bout du ‘‘Gobi » parle en renseignant sur la position sociale de son propriétaire et sur ses humeurs du moment.

Ce langage via le couvre-chef remonte aux temps anciens car à l’entrée de Porto-Novo, capitale politique du Bénin, on tombe infailliblement sur la statue du Roi Toffa 1er (1874 à 1908), trônant fièrement avec son ‘’Gobi » rabattu vers la gauche. La manière dont le monarque porte son couvre-chef symbolise, selon les historiens, la noblesse qui le caractérisait.

Ce que confirme Charles Lignan, journaliste, Docteur en sociolinguistique, auteur d’un essai sur le port du bonnet traditionnel béninois. L’on ne peut, souligne ce dernier, enfiler le ‘’Gobi » comme un objet ordinaire ou de plaisanterie.

‘’C’est plutôt un complément vestimentaire qui appuie le besoin de communiquer », affirme Ligan dont l’ouvrage est intitulé « Le couvre-chef à Porto-Novo. Le +Gobi+ : sens et significations ».

Ainsi, à en croire Charles Lignan, celui qui rabat le bout de son bonnet à gauche « exige respect ou privilège ». Et pour cause, ajoute-t-il «Le cœur humain se situe à gauche et le cœur est bien entendu le siège des sentiments. Il est donc normal que le cœur s’exprime aussi à travers le +Gobi+ lorsqu’il est orienté vers la gauche».

Donnant toujours l’exemple des habitants de Porto-Novo dont il connait bien les us et coutumes, Lignan renseigne que lorsque le ‘’Gobi », différemment de celui du Roi Toffa, est rabattu à droite il exprime la beauté et la classe de son porteur qui est alors pris pour quelqu’un qui est à la page.

« C’est une position courante adoptée à l’occasion des réjouissances et qui traduit la joie de vivre », selon le journaliste-écrivain.

Autre lieu au Bénin, autres interprétations données à l’orientation du ‘’Gobi ». Chez les Goun ou Yoruba (Sud-est du Bénin), le bout du couvre-chef ramené sur le front exprime ‘’la volonté d’aller de l’avant, l’assurance et l’avancement », renseigne Charles Lignan. « Celui, dit-il, que vous croisez dans la rue avec un chapeau pointé vers l’avant parallèlement aux yeux, va soit à une rencontre où un différend l’oppose à d’autres, soit à une table de négociation ». Sans doute, avec l’assurance de venir à bout du problème qu’il va affronter…

Par contre plus tranché, voire plus provocateur est celui qui rabat son ‘’Gobi » de l’arrière, sur la nuque. Une telle personne se moque des commentaires de ses détracteurs et dit à ceux d’entre eux sachant décortiquer son message : « les chiens aboient, la caravane passe ».

En réalité, explique Farouk Osséni, un revendeur de ‘’Gobi », « tout dépend de la cérémonie à laquelle vous comptez assister » avec votre couvre-chef.

Selon lui, le fait de le porter orienté vers l’avant sur le front signifie ‘’Je m’en f… » ou ‘’je n’ai pas de problème avec personne ». Pointé vers l’arrière, cela veut dire : ‘’Parlez seulement (vous ne pouvez rien contre moi !) ». C’est cette attitude blasée qu’on trouve un peu à l’occasion chez les membres de l’ethnie Goun.

Chez les autres Yoruba qui ne sont pas du Sud-est du Bénin, on note quelques variations dans l’interprétation du message véhiculé par le ‘’Gobi » : lorsqu’il est rabattu sur le côté gauche, il indique que son porteur baigne dans la tristesse ou est affligé d’un malheur. Et si le bout du couvre-chef est ramené du côté droit, il signifie ‘’Tais-toi », invitant au silence le vis-à-vis du porteur du ‘’Gobi ».

Pour l’historien Léon Bio Bigou, les Baatonou, une ethnie du Nord-Bénin, font une toute autre interprétation des orientations du ‘’Gobi ». « Tournée vers la droite, le ‘’Gobi » veut signifier que la personne est orpheline de père. Du côté gauche, ça veut dire orphelin de mère. Et, lorsque l’intéressé atteint un niveau donné, c’est-à-dire une certaine maturité sociale, et que ses parents sont vivants, en principe, son ‘‘Gobi » devrait être orienté vers le haut », explique le professeur Léon Bio Bigou.

Enfin, une fois devenu chef, le Baatonou peut tourner le bout de son couvre-chef vers l’arrière, histoire de signifier à son entourage qu’il est au sommet et n’a plus rien à prouver, ajoute l’historien non sans lancer cet avertissement aux tricheurs : « lorsque vous donnez une position (à votre ‘’Gobi ») que vous ne méritez pas, on vous ramène à l’ordre en vous disant de changer la position ». On se connait chez les Baatonou…

Dans tous les cas, résume le sociologue Dodji Amouzouvi, le port du ‘‘Gobi » a deux fonctions principales : « Premièrement, il vous identifie et dit qui vous êtes. Deuxièmement, il renseigne sur votre position sociale, c’est-à-dire si vous êtes un magnat de la société (un homme bien en vue) ou si vous êtes un farouche (un marginal) ».

Et les jeunes d’aujourd’hui dans tout ça ? A l’instar de Frank Dannoumé qui s’est coiffé d’un ‘’Gobi » pour se rendre à un mariage, beaucoup sont fans du couvre-chef mais ignorent les messages qu’il peut véhiculer. « Moi je n’ai aucune idée du sens intrinsèque du ‘’Gobi ». Je vois les gens le porter, ça m’a plu et j’ai commencé à le porter », confesse Frank, pourtant originaire de Porto-Novo, l’un des berceaux du ‘’Gobi ».

Il faut sans doute chercher cette désacralisation du ‘’Gobi » dans sa vente tous azimuts qui en a fait un produit commercial. Brodeur à Porto- Novo depuis bientôt 20 ans, Mathieu Dossou, la cinquantaine, en propose de toutes les sortes et à tous les prix.

Le sens des affaires en bandoulière, Mathieu vend des ‘’Gobi » coûtant 1000 à 1500 FCFA, mais aussi … 100.000 FCFA. Libre à l’acquéreur de choisir, suivant l’épaisseur de sa bourse, le couvre-chef susceptible de taper à l’œil de ses vis-à-vis. Par sa prestance, surtout, et non ses messages dont les jeunes béninois ignorent de plus en plus la manière de les formuler.

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