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Les nostalgiques du Dakar-Bamako Express

Les cheminots de Bamako ne font plus qu'attendre, buvant sur le parvis de la gare, piquant une sieste sur un…

Les cheminots de Bamako ne font plus qu’attendre, buvant sur le parvis de la gare, piquant une sieste sur un banc de quai désert, rêvassant dans des bureaux devenus inutiles.

Le Dakar-Bamako a circulé pour la dernière fois le 17 mai 2018, mais la belle gare coloniale de la capitale malienne et ses gardiens conservent la mémoire de presque cent ans d’exploitation, motifs de fierté nationale et de nostalgie collective dans un pays en guerre.

Cela faisait 37 et 38 ans que Mahamane Thienta et Moussa Keïta travaillaient pour le rail malien, le premier comme inspecteur matériel, le second comme conducteur de locomotive.

Comme les 428 cheminots laissés sur le carreau mais toujours employés de l’entreprise, ils pestent contre dix mois sans salaire et passent leur journée à lutter avec leur syndicat pour que le train roule à nouveau, à se demander ce qui n’a pas marché, et à se raconter les belles histoires d’avant.

De Bamako à Kayes, principale ville avant le Sénégal où les conducteurs changeaient, « c’était la fête permanente. Vous n’imaginez pas la gare quand le train arrivait et sifflait », raconte Moussa Keïta, « on était des stars, on pouvait avoir des copines dans toutes les gares ».

La fête était compréhensible : depuis l’inauguration de 1924, la ligne Dakar-Bamako, conçue à la fin du XIXe siècle par le colonisateur français pour acheminer les matières premières vers l’Atlantique et, au-delà, la métropole, était devenue la principale route commerciale du Mali enclavé. Chaque village le long du rail était un lieu de commerce, où acheter le poisson frais de l’océan et envoyer un colis à la capitale.

– Mémoire de la nation –

Mais avec l’avancée du transport routier, les Etats sénégalais et malien ne s’y retrouvaient plus. Privatisation en 2003, actionnariat franco-canadien, américain et sénégalais, création d’une société bi-étatique en 2015, rien n’y a fait. Le manque d’entretien et le coût faramineux d’une réhabilitation ont coulé la ligne.

« A la fin, on roulait à 30 km/h alors qu’avant, les trains filaient à 80 km/h! », se désole Mahamane Thienta.

A présent, le devant de la gare en pierre ocre arborant sous l’horloge à son fronton l’inscription « Chemin de fer de Dakar au Niger » (le fleuve qui traverse Bamako) sert de parking aux voitures qui ont causé sa perte. Les wagons verts à la peinture décrépite rouillent parmi les herbes hautes et leurs toilettes sont livrées aux mendiants. Les cheminots jouent aux dames sous les vieux panneaux « billets » et « accès aux trains ».

Dans son vieux hangar sans ordinateur ni lumière — le courant a été coupé il y a plusieurs années — Moussa Traoré a la tête dans les photos et les cartons poussiéreux. C’est l’archiviste du rail, qui s’occupe de quatorze tonnes de documents.

« Beaucoup de cadres ne comprennent pas pourquoi je garde ces documents, mais il faut que les générations futures sachent ce qui s’est passé pour ne pas refaire les mêmes erreurs », raconte l’homme en boubou devant de vieux albums photo datés de 1956.

« Ce chemin de fer, c’est la mémoire de la nation : il a sa partie exploitation, sa partie économique, mais aussi une partie historique et une partie culturelle. Il ne faut pas oublier tout ça ».

– Mory Kanté au buffet –

Comme la plupart des entreprises publiques maliennes, le rail avait ses à-côtés culturels hérités de l’époque socialiste.

Le Rail Band, mythique groupe qui a réuni certains des plus grands musiciens de la sous-région, parmi lesquels Salif Keïta et Mory Kanté, s’est formé au buffet de la gare en 1970.

« C’était ici! Là, Salif Keita au micro; ici, Tidjani Koné au saxo; là, Mory Kanté au balafon », se souvient, les yeux scintillants, le batteur et co-fondateur du groupe Mamadou Bakayoko.

Il se rappelle les fêtes « avec des centaines de personnes » qui duraient jusqu’au matin.

Une autre époque. Le Mali fait face depuis une dizaine d’années à un conflit meurtrier alimenté par des groupes jihadistes qui, du nord, s’est étendu au centre et aux pays voisins.

A l’exception de plusieurs attentats, Bamako reste peu touché, et Mamadou Bakayoko veut croire que tout pourrait redevenir comme avant : « Donnez-nous des instruments, et on jouera toute la nuit ».

Un plan de réhabilitation du rail est en discussion avec plusieurs partenaires, dont la Banque mondiale. Fin 2018, le Sénégal et le Mali ont chacun promis de mettre 10 milliards de francs (15 millions d’euros) pour relancer l’activité – pas encore versés, selon les syndicalistes.

Un apport de dix autres milliards a été décidé en octobre par le Mali, selon le porte-parole du gouvernement, Yaya Sangaré. « Si l’argent arrive, on pourra y croire », dit Moussa Keïta. « Il faut que le train siffle encore ! ».

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