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Les Pygmées, maîtres de la forêt en Afrique centrale

Ebona revient d'une journée en brousse, un vieux fusil sur une épaule et un chargement de plantes sur l'autre: dans…

Ebona revient d’une journée en brousse, un vieux fusil sur une épaule et un chargement de plantes sur l’autre: dans le nord du Gabon, la forêt est partout et beaucoup en ont peur, sauf les Pygmées qui en connaissent tous les recoins.

« Des gens de la ville m’ont payé pour que j’aille chercher ces feuilles », raconte Ebona le Pygmée en posant sa cueillette devant une hutte en bois nichée à la lisière de la foret, à 500 m du reste du village.

Les Baka, son ethnie, seraient les plus vieux habitants d’Afrique selon les croyances populaires. Ils sont implantés du Cameroun à la Centrafrique en passant par le Gabon et le Congo, et les frontières n’existent pas dans la forêt.

C’est « notre première maison », indique Jean, un autre Baka: « On dort dedans, on chasse dedans, on vit dedans ».

Mais depuis quelques années, ils ont entamé un semblant de sécularisation, vivant à la marge des villes et en bordure de forêt, et les choses ont changé. L’alcool a surgi dans leur quotidien, et le tabac comme le chanvre animent les soirées enivrées au coin du feu.

Et si avant l’argent et l’éducation des « gens de la ville » n’avaient qu’un impact réduit sur une vie faite de cueillette et de chasse, la problématique monétaire est aujourd’hui d’actualité.

Pour ce peuple sans le sou, le seul gagne-pain possible est sa connaissance parfaite de la forêt.

Alors, soucieux d’éduquer leurs enfants, les Baka louent à qui veut ce « GPS intégré » qui leur permet de parcourir des centaines de km à pied dans une forêt dense et peuplée d’animaux sauvages.

Les acheteurs sont nombreux: les ONG internationales de protection de la nature, qui engagent les Baka comme pisteurs, les habitants, qui les paient pour aller chasser et cueillir pour eux, mais aussi les braconniers, qui les emploient pour chasser l’éléphant.

« Avec une cartouche, je peux l’abattre. Si je frappe là, derrière l’oreille, je le tue », raconte Jean, qui indique partir souvent en forêt avec des braconniers étrangers venus du Cameroun, bien qu’étant en parallèle le pisteur attitré d’une ONG internationale qui lutte pour la préservation des éléphants.

– Contre la « loi de la ville » –

« Mais c’est aux braconniers qu’appartiennent le fusil et les cartouches », souligne-t-il, conscient du risque qu’il encourt: la chasse de l’éléphant est interdite au Gabon.

Quand on évoque cette loi, Jean s’emporte: « j’ai toujours mangé l’éléphant, c’est chez nous, c’est notre viande ».

Et puis, l’éléphant, ça rapporte: « 200.000, ou même 300.000 francs (CFA, soit entre 300 et 450 euros, ndlr) en fonction de la taille des défenses », explique-t-il.

Parmi tous les Baka interrogés, aucun n’approuve cette « loi de la ville » qui interdit la chasse des éléphants, malgré leur disparition programmée si rien n’est fait pour endiguer le braconnage d’ivoire.

A Minkébé, parc naturel du nord-est du Gabon et principal sanctuaire d’éléphants de forêt du pays dont Doumassi est la porte, 80 % des éléphants ont été tués en dix ans, selon les parcs nationaux gabonais.

Pour Melvin, chasseur émérite de Doumassi, c’est « une mauvaise loi », mais « on est obligés de la respecter, on ne veut pas aller en prison ».

Alors, lui chasse les espèces autorisées avec un goût amer: la viande de gazelle ou de porc-épic se vend beaucoup moins cher qu’un éléphant ou qu’un pangolin.

– « Ils ne ratent jamais leur tir » –

Autre moyen de subsistance des Baka: la chasse pour les Fang, une ethnie qui vit dans le nord du Gabon, en Guinée équatoriale et au Cameroun.

« On leur donne le fusil, les cartouches, et ils partent chasser », explique Christine, habitante de Gabonville, un village de la zone. « Mais c’est des voleurs, ils gardent souvent le fusil et ne reviennent qu’un mois plus tard », peste-elle.

Les relations entre Fang et Baka ont toujours été tumultueuses, les premiers accusant les seconds d’être des « sous-hommes » qui leur seraient « inférieurs » du fait de leur petite taille.

Mais dans la forêt, rien n’égale les talents de pisteur d’un Baka. « Le seul animal que je crains est le gorille, parce qu’il réagit comme l’homme, il est imprévisible », dit Jean.

« A bout portant, ils ne ratent jamais leur tir », corrobore Rigobert, un Fang qui a envoyé la veille deux Baka chasser pour lui. Il leur a donné une dizaine de cartouches et une vieille pétoire et ils sont revenus au matin, avec trois gibiers.

Jean était l’un des deux chasseurs. Maintenant assis devant un verre d’alcool, une cigarette à la main, il réfléchit au futur: « L’armée a proposé de m’embaucher, mais j’ai dit non. J’ai ma famille, je suis chasseur. C’est en moi, pourquoi ça changerait? ».

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